Une limite se fixe, dans un premier temps, car il ne s’agit pas de se laisser emporter par quelque émotion envahissante, presque trop enthousiastes d’avoir trouvé, un matin, un terrain complètement libre d’expression. Alors, la deadline agit sur les moyens disponibles de voir une forme surgir, sans raison apparente, sans projet définitif, sans avoir à imaginer ce que serait la réalité d’un emploi à grande envergure de ce qui ne sera jamais qu’un espace partagé avec quelques-uns seulement. On regarderait notre entourage passivement, ne faisant que relayer des manifestations stériles de nos inaptitudes. La gestion au quotidien devient alors infernale, car elle ne fait que montrer en permanence ce qui ressemble à un échec. Tout devient négatif. Le désir créatif s’amenuise. Chaque objet qui se dépose dans la pensée ne fait qu’y rester pour des temps indéterminés et ne s’aperçoit plus que ce qui s’oblige à la considération présente. De cela, aucun remède n’est efficace à force d’avoir été chacun réemployé à de trop nombreuses reprises. On sort les vieux dossiers. On aimerait classer. On aimerait calmer. Le trouble se fait insistant parce que la douleur propulse dans l’inactivité. Ainsi, je me vois ouvrant la fenêtre et criant à l’inconnu. On conclura qu’il était fou. Le lendemain, on aura oublié. Le défilement continu permet cela. On ne fixe pas l’intérêt premier qui n’a d’autre objectif que de générer une réalisation de soi à travers les outils de l’invisibilité, pour mieux satisfaire ce besoin de toujours se détacher de ce qui ne ferait que déstabiliser encore quelques certitudes semblant ne faire que ponctuellement surgir pour rassurer l’esprit d’être encore dans un cadre fonctionnel alors qu’il ne fait plus que produire l’indicible. Cela se manifeste comme un jugement à l’encontre des personnes les plus proches, rencontrées à l’échelle temporelle d’une mémoire reconnaissable, mais à partir du moment où ne se prend en considération que l’effet réel sur le présent et que rien de ce qui pourrait arriver ne se suppose autrement que déjà là s’exprimant d’une manière ou d’une autre, il devient presque trop difficile de ne plus être que dans la partie la plus inaccessible de l’être. Il ne s’agirait plus alors que de feuilleter quelques pages en amont pour se laisser séduire. Or, tout ce qui a été ressenti tient à se déployer autrement. Les yeux se perdent le long des lignes. L’esprit n’a plus le temps d’accrocher le sens complet. Il capte des mots au passage. Il se programme. Et puisque ce qui adviendra se voit, là, à ce moment précis où tout n’est plus que concentration, il se produit un acte de l’impensé. Il est temps, donc, de mettre en œuvre, c’est-à-dire, d’appliquer strictement ce qui vient de s’envisager dans l’immédiat. L’évidence s’y décèle plus aisément. Nous sommes trop sollicités. Rien ne nous y oblige, pourtant. Il suffirait de le décréter. Nous nous sommes quelque peu emballés à trop vouloir suivre la cadence que nous pensions pouvoir tenir pour feindre d’avoir tout autant de moyens que tous ces systèmes mis en place depuis tant de décennies que personne n’imagine qu’il en soit autrement du jour au lendemain. C’est cependant ce que nous allons décider. C’est maintenant. Et une fois de plus, le lire est trop tard pour agir encore sur l’orientation qui vient d’être choisie. Regardons. C’est si touchant de voir tout cela naître. Il ne servirait à rien de comparer à quoi que ce soit puisque nous venons de concevoir ce qui ne s’est jamais fait. Oups. Vous seriez venus un quart d’heure plus tôt, vous auriez pu nous faire part de votre point de vue et développer votre théorie. Parce qu’au fond, nous avons quelque peu testé le degré d’intérêt que certains d’entre vous tentaient de concevoir à partir d’une imagination sans fondement réel, et cela, encore une fois, ne nous convainc pas. Ah ben oui, le passé immédiat cherche à nous rattraper, mais nous l’avons encagé dans une pièce d’où il ne ressortira qu’une fois qu’il se sera défait de ce qu’il envisage tout le temps comme une destruction permanente du vivant alors que nous nous sommes réunis, justement, parce que nous sommes animés par l’exacte conviction contraire, qu’il y a, parmi nous, suffisamment d’éléments pour former une réalité optimiste de ce que l’humain produit pour n’être qu’un des moteurs du progrès. Nous laissons voir une partie de la méthode qui, jusqu’à présent, n’a fait que s’enrichir et prouver sa constante adaptabilité. Nous glissons d’un univers à l’autre. Nous « conduisons ». Des rapports circonstanciés vont être rédigés et tomber dans le domaine public plus tôt que prévu, car nous en avons assez d’attendre que la crédibilité soit constamment invoquée au profit d’une classe dominante ne cherchant qu’à maintenir sa supériorité. Ne faites pas les surpris. Nous serions presque à nous demander à quoi vous vous attendiez. Trouver une sorte de preuve qui vous aurait servi le jour de l’incrimination. Ce qui se déroule sous vos yeux n’a aucune autre conséquence que de générer la pensée là où elle se fixe véritablement. Copiez, collez, déversez dans le monde entier. Sorti de son contexte, cela n’a plus aucun autre sens que celui que vous voudrez bien y attacher. C’est vous qui vous faites interprètes et qui vous rendez responsables de la manière de recevoir la globalité d’une démarche dont le principe est de mettre en mouvement la sensibilité, la perception, puis, comme nous l’espérons, la curiosité et la compréhension. L’outil qui nous a manqué au moment où nous cherchions quelque explication aux contradictions de la pensée, nous l’avons créé et nous l’avons utilisé pour nous-mêmes, pour notre formation interne, pour que chaque matin nous ayons, à portée de main, ou sous les yeux, de quoi porter notre voix en cours de rééducation. Quel que soit le support, ce qui nous intéresse est de voir et de signifier l’évolution d’une sorte de cœur de bataille. Ce n’est pas une zone de conflits, c’est le lieu où se met à vibrer l’émotion, ce qui fait résonner la poitrine, ce qui fait prendre conscience du souffle s’adaptant à une formulation chaque fois de plus en plus identifiable. Nous aurions pu céder à l’impatience. Comme jadis, nous précipiter sur la touche « envoyer », « publier », « commenter », mais nous avons adopté collectivement une stratégie qui ressemble de très près à ce qui nous a semblé être à l’origine de votre pseudo puissance d’action : la programmation. Maintenant, nous vous sentons trembler, car le mot vous fait penser à ce que vous avez peut-être lu. C’était il y a peu de temps. La mémoire en est encore toute troublée. Des mots en bataille ! Cela devient insupportable. Le cabinet des urgences est convoqué. Trions, analysons. Nous en oublions l’essentiel. Nous ne savons plus de quoi il s’agit vraiment. Ils affirment une méthode comme ils tiendraient les actes d’un manifeste, mais ce que nous percevons ne vérifie rien de tout cela. C’est très simple. C’est à cause du socle que vous n’avez pas vu. C’est à cause de la variabilité que vous n’avez pas pensée. Et de la cadence qui vous a échappée. Mais comme nous sommes plutôt bienveillants, voici quelques pistes de réflexion : 1, qu’il fallait voir dans l’existence d’un travail en cours un réel travail en cours ; 2, qu’il fallait remettre quelques éléments dans l’ordre avant de conclure idiotement que nous nous étions égarés dans l’insensé ; 3, que tout se ressemblait un peu mais s’identifiait malgré tout ; 4, qu’il y avait des dates, des jours, des duperies, des évidences qui, tout au long des mois, auraient pu se vérifier amplement à la lumière d’une certaine perspicacité ; 5, qu’il y a des périodes d’absences non justifiées durant lesquelles auraient pu se manifester, au minimum, une surprise, au maximum, une inquiétude. 6, 7, 8. Ce sont les listes infernales. Nous en avons des caisses pleines. Nous les utiliserons en permanence pour inverser le jugement de valeur. C’est une technique que nous maîtrisons bien désormais. Oui, pourrez-vous crier à qui veut l’entendre, mais vous n’êtes pas passés par la case consécration. Et vous l’entendrez venir du fond de nombreux foyers que vous n’avez pas pris la peine d’inspecter. Il vous arrivera en conscience comme une clameur effrayante. Ce rire de moquerie que nous avons voulu retenir jusqu’à ce que vous manifestiez le degré de votre intolérance. Vous étiez de celles et ceux qui distinguent, qui autorisent, mais depuis maintenant de nombreuses années (comptez en siècle, désormais), vous avez été destitués. Il y avait des traverses. Il y avait des personnes qui aimaient aller s’asseoir sur des marches pour écouter de la musique en regardant un paysage et en buvant des bières illégalement vendues à la sauvette. Il y avait des textes qui ne circulaient que dans des cercles restreints, des correspondances que vous n’aviez jamais lues, des rencontres dans des bars, des rencontres dans des salles de sport à la Fight Club, des amis qui se tenaient la main devant l’ivresse de quelque beauté qui ne coûtait rien, et nous avions imaginé que, pour elles, pour nous, pour nous en mêler, pour nous y sentir partout chez nous, décalés du reste des préoccupations marchandes, assouvis de l’immense débat toujours en action dans chaque bonjour adressé, chaque sourire, chaque porte tenue, chaque regard amusé vers un petit groupe aviné, chaque pensée vers notre propre identité, car elle était là, notre sève politique, elle coulait réellement dans notre corps social, elle liait les groupes, elle ne pensait plus qu’il y avait sur notre sol quelque étranger qui n’aurait pu y rester le temps qu’il le désir, l’étranger n’était pas là, l’étranger était ailleurs, l’étranger était dans les têtes de celles et ceux qui tentaient de nous manipuler en nous dépossédant de notre puissance politique, en nous imaginant incapables de compter, de prévoir, de faire des bilans, de saisir un livre que nous pourrions brandir au milieu de la foule pour soulever la rage de nos loisirs constamment encadrés par des lois de soumission parcellisant une société qui, malgré cela, ne faisait que transgresser en permanence les codes injustement affichés de votre idéal officiellement, asseyez-vous, cela va être difficile à admettre, en voie de destruction.