Nous fixons nos émotions sur un avenir devenu de plus en plus abstrait

Il est vrai que le format fait beaucoup. Il dicte. Ou, du moins, il a dicté tant que nous n’avions pas conscience qu’il dictait. Cette dimension-là nous échappera toujours. C’est avant tout une attitude que l’on adopte avec soi-même. Si nous nous arrêtions aux effets de réel, nous dirions simplement qu’une insomnie nous a saisis. C’était l’angoisse encore. Quelque focalisation concernant quelque sujet. Mais maintenant, nous le percevons autrement. Ce qui écrit en nous nous a réveillés. Pour vivre ces moments que nous n’avions d’abord pas pensés. Nous nous étions dit que tout serait là quand nous nous lèverions, alors qu’il nous fallait encore passer devant cette seule fenêtre éclairée, elle, sur ce qu’est la folie, comment elle s’organise pour s’adapter au monde, jusqu’à ce qu’il soit temps de s’y intégrer à nouveau, voyant la lenteur avec laquelle le ciel change de couleur, pour dire l’éveil, l’attente nécessaire, ces quelques heures qui seraient passées inaperçues, durant lesquelles, même s’il semble minime, un choix s’est mieux formulé. Il fallait chaque fois nous réadapter à une identité nouvelle, telle que nous l’avions admirée, se présentant dans la douceur de l’unité. Une fausse justification s’était comme immiscée. Et déjà, c’était le manque de ce que nous avions décidé de ne pas faire, ou plutôt, de ne plus faire. Un nouvel abandon. Le deuil de parfums d’automne. Ce nouveau calendrier sur lequel nous nous étions fixés. Intégrant sur une même échelle les erreurs du passé et l’établissement d’une meilleure gestion de l’avenir. Il ne fallait pas se leurrer avec tout cela. Ce n’était pas un détail anodin. Nous l’avions senti s’installer peu à peu, par quelques signes évidents. Les mêmes gestes répétés. La recréation, dans l’espace fictionnel, l’imaginaire, de l’étendue du mystère, de la manière qu’elle avait de distendre l’énergie, puisque nous y étions, puisque la période était celle que nous attendions, ne nous supposant plus comme un appareil doté d’une fonction marche-arrêt, qu’on aurait programmé à une heure précise, pour que notre conscience soit certaine qu’il y avait bien un avant et un après. Il n’y avait plus que des périodes. Nous les prendrions en compte uniquement si la nature nous entourant nous le signifiait, et pour celle que nous traversions à ce moment, une période de grand changement encore, elle l’avait fait. Nous étions en train de mieux établir ce qu’était l’économie, une notion à laquelle nous n’avions pas attaché assez d’importance, de sorte que toute proximité d’un chiffre devenait pétrifiante. Cela ne nous aurait pas concerné, ou plutôt, d’autres l’aurait mieux géré que nous. Et pourtant, c’est un mot, presque comme les autres. Il a ses multiples sens. Peut être employé autant que les autres. Il n’y a plus de raison d’en déléguer la formulation, autant que tous les mots dont nous nous sommes ressaisis, avec, parmi eux, le mot « direction ». Oui, grâce à l’autogestion qui fut immédiatement effective. Elle n’a pas révélé une liberté soudaine, comme si nous étions sortis d’une longue réclusion. Elle nous a fait évaluer autrement les éléments dont nous étions réellement dépendants. Les autres n’étaient que limites que nous nous infligions pour ne pas avoir à assumer notre part de responsabilité dans la non réalisation de notre idéal toujours en formation. Nous accusions tous azimuts. Jusqu’à la pluie qui s’abattait sur nous un jour de congé alors que nous avions décidé d’aller nous promener. Alors, bien sûr, cela ne nous rend pas moins dépendants de la pluie, mais comme elle est des lois dont nous ne pouvons rien, nous l’accueillons comme elle est, et il en est de même pour le reste. La loi, le cadre, les fonctions, où se trouvent notre rôle et notre puissance d’action. Et lorsque nous prenons en charge notre société interne, nous n’accusons plus, nous faisons, nous appliquons, nos principes, nos théories. Avec quelques débordements parfois. Ce n’est pas grand chose. Ça n’a pas beaucoup de conséquences. Nous sommes sur une gestion continue. Il n’y a pas de réelles heures de bureau, pas un moment où l’on se dirait « la journée est finie, je peux passer au sport ou à la télévision ». Nous fixons nos émotions sur un avenir devenu de plus en plus abstrait. C’est peut-être la plus grande des difficultés, mais elle vaut largement la peine d’être vécue tellement tout ce qu’elle réalise nous ravit.