Nous fixons nos émotions sur un avenir devenu de plus en plus abstrait

Il est vrai que le format fait beaucoup. Il dicte. Ou, du moins, il a dicté tant que nous n’avions pas conscience qu’il dictait. Cette dimension-là nous échappera toujours. C’est avant tout une attitude que l’on adopte avec soi-même. Si nous nous arrêtions aux effets de réel, nous dirions simplement qu’une insomnie nous a saisis. C’était l’angoisse encore. Quelque focalisation concernant quelque sujet. Mais maintenant, nous le percevons autrement. Ce qui écrit en nous nous a réveillés. Pour vivre ces moments que nous n’avions d’abord pas pensés. Nous nous étions dit que tout serait là quand nous nous lèverions, alors qu’il nous fallait encore passer devant cette seule fenêtre éclairée, elle, sur ce qu’est la folie, comment elle s’organise pour s’adapter au monde, jusqu’à ce qu’il soit temps de s’y intégrer à nouveau, voyant la lenteur avec laquelle le ciel change de couleur, pour dire l’éveil, l’attente nécessaire, ces quelques heures qui seraient passées inaperçues, durant lesquelles, même s’il semble minime, un choix s’est mieux formulé. Il fallait chaque fois nous réadapter à une identité nouvelle, telle que nous l’avions admirée, se présentant dans la douceur de l’unité. Une fausse justification s’était comme immiscée. Et déjà, c’était le manque de ce que nous avions décidé de ne pas faire, ou plutôt, de ne plus faire. Un nouvel abandon. Le deuil de parfums d’automne. Ce nouveau calendrier sur lequel nous nous étions fixés. Intégrant sur une même échelle les erreurs du passé et l’établissement d’une meilleure gestion de l’avenir. Il ne fallait pas se leurrer avec tout cela. Ce n’était pas un détail anodin. Nous l’avions senti s’installer peu à peu, par quelques signes évidents. Les mêmes gestes répétés. La recréation, dans l’espace fictionnel, l’imaginaire, de l’étendue du mystère, de la manière qu’elle avait de distendre l’énergie, puisque nous y étions, puisque la période était celle que nous attendions, ne nous supposant plus comme un appareil doté d’une fonction marche-arrêt, qu’on aurait programmé à une heure précise, pour que notre conscience soit certaine qu’il y avait bien un avant et un après. Il n’y avait plus que des périodes. Nous les prendrions en compte uniquement si la nature nous entourant nous le signifiait, et pour celle que nous traversions à ce moment, une période de grand changement encore, elle l’avait fait. Nous étions en train de mieux établir ce qu’était l’économie, une notion à laquelle nous n’avions pas attaché assez d’importance, de sorte que toute proximité d’un chiffre devenait pétrifiante. Cela ne nous aurait pas concerné, ou plutôt, d’autres l’aurait mieux géré que nous. Et pourtant, c’est un mot, presque comme les autres. Il a ses multiples sens. Peut être employé autant que les autres. Il n’y a plus de raison d’en déléguer la formulation, autant que tous les mots dont nous nous sommes ressaisis, avec, parmi eux, le mot « direction ». Oui, grâce à l’autogestion qui fut immédiatement effective. Elle n’a pas révélé une liberté soudaine, comme si nous étions sortis d’une longue réclusion. Elle nous a fait évaluer autrement les éléments dont nous étions réellement dépendants. Les autres n’étaient que limites que nous nous infligions pour ne pas avoir à assumer notre part de responsabilité dans la non réalisation de notre idéal toujours en formation. Nous accusions tous azimuts. Jusqu’à la pluie qui s’abattait sur nous un jour de congé alors que nous avions décidé d’aller nous promener. Alors, bien sûr, cela ne nous rend pas moins dépendants de la pluie, mais comme elle est des lois dont nous ne pouvons rien, nous l’accueillons comme elle est, et il en est de même pour le reste. La loi, le cadre, les fonctions, où se trouvent notre rôle et notre puissance d’action. Et lorsque nous prenons en charge notre société interne, nous n’accusons plus, nous faisons, nous appliquons, nos principes, nos théories. Avec quelques débordements parfois. Ce n’est pas grand chose. Ça n’a pas beaucoup de conséquences. Nous sommes sur une gestion continue. Il n’y a pas de réelles heures de bureau, pas un moment où l’on se dirait « la journée est finie, je peux passer au sport ou à la télévision ». Nous fixons nos émotions sur un avenir devenu de plus en plus abstrait. C’est peut-être la plus grande des difficultés, mais elle vaut largement la peine d’être vécue tellement tout ce qu’elle réalise nous ravit.

Une fête s’organise quelque part

Le transgressif est une petite ligne de démarcation que l’on s’offre, où quelques mots échangés suffisent, imaginant qu’un lien se forme à ce moment-là, préféré à ce qui relèverait du calcul, d’une soumission que l’on imposerait à un être qu’avant tout nous aimons. La pensée est différente, sans calcul, car il s’agit de se laisser conduire, d’abord dans un cadre prédéfini, puis il y a toujours cet après, où la sensibilité n’a plus rien de prévu, à part, peut-être, une vague idée de ce que pourrait être une fin. De toute façon, il y en aura une, aujourd’hui, comme les autres fois, dictée parfois par des éléments simples de la vie quotidienne. Il suffirait d’un rendez-vous, de n’avoir plus le temps, ou que les chemins se séparent, de fait, parce que la destination est atteinte. Cependant, il s’est créé un évènement particulier, unique. Nous serions si peu à pouvoir l’évoquer qu’il faudrait à nouveau se réunir, et provoquer le souvenir de ces quelques minutes. Après tout, ce n’était pas grand chose sur l’échelle de toutes les vies, et pourtant, une loi s’est établie, dans l’oralité. C’est elle qui mobilise une pulsion particulière, d’avoir envie de la faire durer, comme un bilan de journée, mais nous sommes si peu attachés à la véridiction qu’il ne sera pas utile de chercher dans l’entourage ce qui pourrait avoir mené à de telles conclusions. Un souvenir très ancien pourrait l’avoir déclenché. Un désir, aussi. Ce qui compte, c’est qu’il continue d’exister sous cette forme, qu’en soi, nous n’ayons pas envie de nous en dessaisir. C’était si beau. C’est là la sève d’un roman tout entier. Tout ce qui se construit en amont. Tout ce que cela aura comme conséquences des jours durant. Pour une seule phrase à laquelle aura répondu un regard.

Un rendez-vous avec le mystère. 

Les personnes que nous voulions atteindre par notre sensibilité ne sont pas celles qui nous apparaissent comme incontournables au tout début d’une histoire. On se dit, tient, voilà le personnage principal. Et puis tout est détourné. On a tout de même besoin de saisir quelque chose. On pose tout. On regarde au loin. On ne sait pas trop combien de temps on a mis. Finalement, ce n’était pas si long. Il fallait dépasser les premières barrières, aller plus loin malgré le panneau stop. Des chiffres, des tableaux, des dates, des comptes-rendus de réunion. Tout ce qu’il faut concevoir comme un plan.

Après cela, une énergie se concentre. C’est elle qui écrit. Elle choisit sa voie, elle circule comme de l’eau dans la terre, elle irrigue toutes nos racines.

Les saisons passent, le soleil fait son œuvre, la lune aussi, et tout fleurit. On n’a plus qu’à cueillir. C’est un printemps poétique toute l’année.

Notre mission est bientôt terminée

Les niveaux fictionnels sont ce qui génère notre fonction créatrice. Ils sont différemment déployés selon les réseaux que nous empruntons. Nous avons conçu un nouvel espace de circulation devenu véritable base arrière de nos intimes préoccupations afin d’alimenter notre système interne. Nous supposions de cela de nombreuses conséquences avec, en ligne de mire, la fin d’un dictat qui, trop longtemps, nous avait gouvernés. Il avait pour cela suffi de former une première entité fondée sur une parfaite égalité. C’étaient comme des secteurs auxquels nous allions laisser toute liberté d’agir. Nous formulons le constat que le mouvement que nous attendions s’est tout simplement inversé. De la loi du plus fort nous sommes passés à la loi du plus nombreux. Tout ce qui a été initié depuis ne nous fait qu’espérer que nous avons pris là une bonne décision. Nous nous doutions qu’il allait y avoir quelques surprises. Des paroles qu’on n’entendait plus ont ressurgi. Des thèmes, aussi, étrangement étouffés par une vision unique de ce qu’aurait été la puissance, se sont développés. Tout cela est dû aux élections qui ont vu leur principe s’adapter. Nous avons aujourd’hui un nouveau mode de fonctionnement, parfaitement opérationnel, entièrement autonome, en grande partie virtuel, car cela, il ne faudra pas l’oublier : ce qui nous importe est l’impact de la virtualité sur la réalité et vice versa. Alors, c’est de cela dont nous devons nous réjouir : la variété des formes d’actions qui se profilent sur tous les plans est en train de gagner du terrain.

Au point de se sentir arriver à la fin de sa propre histoire

Nous le pensions éliminé. Pour longtemps. Par l’élection, évincé. Mais voici qu’il revient, menaçant. À la table des puissants. Prêt à frapper.

Alors, dans nos corps blessés, ressurgit l’histoire. Encore.
Once upon a time. Les personnages, pétrifiés. Racontent.

Au fur et à mesure, nous nous rendions compte que les regards changeaient. C’étaient ceux de nos collègues, qui avaient évalué deux attitudes possibles : se battre en nombre ou se résigner, seul à seul avec la hiérarchie. Ils avaient choisi. Puisque nous n’allions rien pouvoir changer. Puisqu’il avait été élu. Désigné. Pour arbitrer. Tous les conflits. À coup de menaces verbales. Ils observaient le moindre de nos mouvements. Disaient de se méfier de ceux qui organisaient des réunions. Que nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis. Parce que l’élu n’était pas content. Il allait tout fermer et mettre la démocratie au chômage.

Ils signaient. De leurs regards. Abaissés. Dire oui, que nous viendrons. À la réunion. Mais nous ne viendrons pas.

Quand nous rentrions le soir, épuisés, nous restions des heures à préparer les lendemains, à écrire des courriers, pour mobiliser, mais la vague était passée comme un rouleau compresseur. Fête de la ville. Des milliers de tracts distribués en quelques heures. Sur tout le territoire. Une série de mensonges, pour effrayer, puis inviter à une réunion publique. Tous unis derrière un même mot d’ordre, une logique de parti. Ça ne se discute pas, la logique de parti, car il n’y a qu’un seul objectif. Affaiblir l’opposition. La rendre minoritaire. La laminer. Puis l’obliger à se rendre à l’évidence.

Et ce qui se montra au public. Notre colère. Notre angoisse. Tout avait été inversé.

— Ils sont enragés.
— Ça n’a pas l’air si effrayant.
— Et puis, ils sont tous d’accord.
— Eux, ils savent. Nous, nous ne savons pas.
— C’est bien pour ça que nous avons voté.

La vague, cette fois. C’était en rentrant. Pensant réunir encore quelques soutiens. Face à l’injustice. Face à tout ce qui s’était préparé. Que nous voulions dénoncer.
La vague, donc, des tremblements. D’abord les mains, puis les bras, puis la respiration. Coupée. Au bord du précipice. Ne plus se sentir capable de prendre une décision. Parce que le choix était impossible à penser.

Parce qu’elle était bien là, l’issue du harcèlement.
Une paranoïa permanente.
À tel point que plus rien ne faisait sens.
Au point de se sentir arriver. À la fin. De sa propre histoire.

VOTONS #REVOLUTION !

Afin de pérenniser notre action, l’idée d’une nouvelle association du Bonheur a germé le mardi 11 avril 2017 aux alentours de 20h00 lorsque Clara, Ginette, Bernard et Gérard se sont retrouvés au Bistrot juste au coin de la rue, pour discuter de la mise en place administrative, — loin des « cons qui veulent toujours changer la place d’une virgule » —, c’est-à-dire, entériner (Oh, ce mot qu’on aime tant, désormais, que vous le verrez partout) qu’il y aurait, d’un côté, ceux qui s’occupent des matières de la vie et, de l’autre, ceux qui en profiteront en voyant fleurir sur nos fenêtres les arbres de nos aînés. Aussi n’avons-nous évoqué que les « choses nécessaires » qu’il faudra signer, acter, voter, tel que renseigné à l’alinéa 10 du Présent Nouveau Règlement :

Alinéa 10 : Vide greniers, étagères avec des livres dans les cages d’escalier, balades en vélo, atelier cadeaux pour la fête des mères, atelier photo le mercredi, réunion politique ce soir, à 18h30, dans un bar, c’est marqué, DBAO, De Bouche à Oreille, pour échanger des vêtements, en septembre, en avril, pour les enfants, quand c’est trop petit, quand c’est trop grand, qu’on veut juste échanger, troquer, prêter, avant le suivant, avant l’été, pour alléger les étagères qui s’accumulent de vies, de mystères, pour libérer des tensions, des mots que nous n’avons plus envie de voir, même déposés au fond d’un tiroir, un projet du commun, une facture à payer, pour se souvenir, comme une liste de courses, admettant concrètement et immédiatement qu’il vaut mieux d’abord évaluer si nous sommes en capacité de rendre un service quand on nous le demande avant de systématiquement et immédiatement le refuser.

La fictionnalisation n’est plus un système qui nous intéresse. Il est vrai que d’un point de vue administratif, c’est alléchant, mais voyez-vous, il est des choses dont nous n’aurons plus jamais besoin, parce que nous avons nous aussi compris qu’il fallait arrêter de croire que quelqu’un viendrait nous sauver, à la veille de toutes ces innombrables échéances qu’on nous jette en plein visage, sans que jamais personne ne se soit demandé comment faire pour payer quand on n’a plus d’argent, qu’on n’arrive plus à dîner tous les soirs, à cause de la société qui s’est, on ne sait pas, on ne sait plus le dire, ou on l’a oublié, peut-être, comme un traumatisme, émiettée, écorchée, peut-être juste abîmée, à vouloir trop contenir, comme nous l’avons vu, ce soir, l’abominable Royaliste, soi-disant, nous dire, comment nous apprendre à exclure, à punir, alors que, désolé, no way, ici, c’est privé, c’est le slam, c’est la section que tu ne comprends pas, là où ça fait mal, de toujours devoir recommencer à expliquer parce que tu n’as pas pris la peine de lire le début de l’histoire, alors, oui, pour toi, juste pour toi, je vais recommencer depuis le début, Once Upon A Time, un conte de fée, où l’héroïne allait rencontrer son prince charmant pour discuter, enfin, de ce qui lui faisait mal tous les jours, non pas la migraine de l’ordinateur, mais la douleur qui revient, permanente, le soir, rien d’autre à dire, ça fait mal, ça fait juste mal, et ensuite, il faut trouver un moyen de se redresser, et d’essayer, de dire, oui, mais elle n’avait pas pu, parce que, nous ne comprenons pas, elle a disparu, peut-être dans les attentats, là, tout près, vous n’êtes pas au courant ?, des attentats ?, où ça ?, j’ai rien vu, j’ai piscine, j’ai gastro, alors que c’était là, juste à côté de moi, un gamin, qui était tombé, que j’aurais pu ramasser, quand je le voyais dériver, tu sais, au moment où ça décline, il dit moins facilement bonjour, il fait semblant de ne pas te reconnaître dans la rue, mais en fait, il te regarde, constamment, depuis une fenêtre, depuis une cage d’escalier, le criminel, peut-être, un voisin, alors, il faut dire, il faut punir, enfermer, exclure, comme l’autre le dit, là, oui, celui-là, qui a piqué du pognon dans la caisse, l’ex Président ou qu’est-ce ?, si ce n’est toi, c’est donc ton frère. On voulait savoir, juste savoir. Et quand le peuple ne sait plus, il devient assoiffé de revenir à la source de ce qu’il y a de plus humain entre nous, fondant, refondant, oui, nous ne faisons que ça depuis des siècles parce que vous n’avez de cesse de vouloir le détruire, notre projet, notre projet de société, mais cette fois-ci, c’est nous qui avons gagné : les compte-rendus seront désormais rédigés. Avec des dates à l’intérieur.

— Ce n’est pas compliqué, Martine ! Dois-je vous le répéter encore une fois ?
— Non, monsieur. J’ai bien compris. Un compte-rendu. Avec des dates à l’intérieur. Ça veut dire : Nous avons décidé de nous revoir le mercredi 3 mai, à 20h00, chez Pierre-Yves, ou, s’il fait beau, au Jardin du Ruisseau, pour faire une assemblée constitutive administrative et définitive. Nous entérinerons (encore !) notre union, l’ancrerons dans le présent et l’appellerons comme sonne le Bonheur du Jour, comme il résonne dans la bouche, avec un bel hashtag publicitaire pour les réseaux sociaux.

Les tristes conséquences des nouveaux statuts

Nous aurions à remplir un contrat, à mettre en place des projets, à définir ce que serait un nouveau statut, non de victime, mais de non-victime-possible, supposant qu’on ne referait pas le passé et que nous viendrions évoquer un sujet tourné vers l’avenir.

Les voici, donc, légalement déclarés.
Article fondamental : collégialité et responsabilité partagée.

C’est là que se concentrera notre action, désormais, rappelant le rôle que nous avons choisi d’assumer, préférant être là où nous sommes justement égaux, afin que des nouveaux modèles s’installent, pour créer, pour durer.

Pour que les conséquences soient bel et bien un nouveau choix disponible. Pour la pensée.

Ce ne sera pas totalement faire comme s’il ne s’était rien passé, ou comme s’il ne se passait plus rien, car de tout ce qui est illégal, punissable, y compris, par la morale actuellement en fonction, nous aurons, malheureusement, — et peut-être même durant tout notre vivant —, toujours à constater, dénoncer, juger, défendre, protéger, réparer. Ça, il ne fallait pas le faire. Maintenant que c’est jugé, voyons ce que nous ferions du criminel qui a purgé sa peine. Qu’il se soit repenti, qu’il regrette, qu’il ait compris pourquoi il a été condamné, nous ne le saurons que s’il l’exprime. À défaut, nous l’intégrerons. Et s’il ne regrette rien, s’il n’a pas compris la raison de sa peine, s’il ne change rien à son comportement, c’est que nous l’avons laissé dans la case « criminel », que nous avons choisi, — oui, nous, société —, de vivre avec, là où il continuerait à agir, avec d’autres victimes, en cours de formation.

Puisqu’il est si difficile de savoir, adoptons l’article suivant.
Toute décision sera prise par consensus.
Rien ne sera plus voté sous la pression.

Et postons le criminel potentiel et la victime potentielle dans une même pièce.
Ils sont, donc, tous les deux responsables de ce qui arrive à partir de maintenant :

LE CRIMINEL
Moi, moi, moi, moi, moi, moi, moimoimoi, moimoimoi.
J’ai raison, tu as tort.

LA VICTIME
Il ne s’agit pas de savoir qui a tort et qui a raison, il s’agit de prendre une décision collective pour l’avenir.

LE CRIMINEL, une arme à la main
LA MIENNE !

LA VICTIME, qui ne veut pas mourir
All right.

Nous vous avons observés, et voici nos conclusions : ceci n’était pas un consensus, car la victime ne s’est pas exprimée.

LA FOULE, qui aimerait que tout aille plus vite
QU’ELLE S’EXPRIME !

LA VICTIME
Je, je, je, je, je, je, jejeje, jejeje…
Ne peut pas s’exprimer, et s’effondre en larmes.

LA FOULE, qui aimerait bien aller manger
Il faut une tierce personne, qui aidera à prendre une décision.

LE CRIMINEL
Un président.

LA VICTIME, qui a consulté les nouveaux statuts
Ce poste n’existe plus.

La tierce personne arrive. Elle écoute Moimoimoi, puis Jejeje, puis vient aussi mettre son grain de sel, ses utopies, ses désirs, car elle ne veut pas, non plus, n’être qu’un médiateur.

LE CRIMINEL
Et maintenant, votons.

LA TIERCE PERSONNE, qui, elle aussi, a consulté les statuts
Ce n’est plus un mode de décision possible.

LE CRIMINEL
Alors, je bloque tout en m’opposant à tout.

Et tout est bloqué. En effet. Rien de ce que nous n’aurons pas formulé ensemble n’aura lieu et aucune décision ne prévaudra. Bloquée, aussi, la situation qui aurait permis à un criminel potentiel d’agir sur une victime potentielle. Ce n’est pas si mal. C’est même un grand pas. Et nous ne ferons rien tant que nous n’aurons pas évalué ce qui fait un criminel potentiel, son extravagant sentiment de puissance, ce qui le pousse à sortir une arme pour persuader.

Alors, nous pensons, qu’il avait l’impression de manquer de place, qu’un étranger l’envahissait. Toujours, toujours, au moment où il voulait s’exprimer, on lui coupait la parole, on ne l’écoutait pas. Autre chose était toujours plus important. On oubliait. De remarquer. De remercier. De féliciter. Et on parlait d’autre chose. Il se demandait ce que disait la loi à ce sujet, et la loi ne disait rien. On avait institué le silence, les non-dits. Devant, tout allait bien. Derrière, tu n’existais pas. Jamais de reconnaissance. Au point de faire des colères sur le tapis pendant le journal télévisé. Au point d’énerver tout le monde par ses cris. Jusqu’à la fessée, enfermé dans un placard, puni de dessert.

Des larmes.
Toute une nuit.
Tant de nuits.
Jamais entendues.

Alors, dans la cour de récré, il était devenu un caïd. Anti-système, inéducable. Transgressif. Tu arrives à l’heure. J’arrive en retard. Tu réponds bien. Je réponds mal. Tu as 16. J’ai 4. Tu passes et je redouble. Je m’en fous, j’ai volé une mobylette. Tu travailles et je ne travaille pas. Je m’en fous, j’ai volé un portefeuille. Et la vie continue, et nous vieillissons, et nous nous retrouvons, dans une même rue, moi, avec ma nouvelle loi, toi, avec ta soumission, et je suis plus puissant que toi, parce que j’ai, depuis, fabriqué des armes infaillibles et que toi tu fais confiance à une justice qui ne te reconnaitras que lorsque je t’aurai agressée.

LE TIERCE PERSONNE
Laisse-la tranquille. Elle n’est pas responsable de tout ton passé.

LE CRIMINEL, comprenant qu’il est aussi une victime
Je, je, je, je, je, je, jejeje….
Ne peut plus s’exprimer et s’effondre en larmes.

L’infinition du possible

Nous avons fait le choix de pré-fixer, une action, non pour, seulement, en inverser le sens, mais pour lui en offrir d’autres, tels que nous pourrions être amenés à n’être que, imaginaires, un laboratoire d’idées, pour nourrir, alimenter, continuer le mouvement.

Dans le dictionnaire des mots encore absents, nous en avons trouvé un qui nous manque cruellement et que nous aimerions aider à naître pour placer, comme investir, une prospection de la pensée vers l’inconcevable éternité.

Ce serait une première expérience de ne faire que l’employer, comme pour révéler ce qu’il supposerait d’un espace s’ouvrant à l’inscription d’une durée, allant au-delà de tous nos aspects. Au-delà, donc, de notre propre raison d’être.

Il s’agirait d’agir.
Pour infinir.
Créer l’infinissable.
L’infinissant.

Se penser comme une chaîne d’héritages, exploitant, cédant, ce que nous avons reçu, ce que nous aurons conçu, à partir d’apparents inachevés, de nos projets, avortés, faire mieux que réactiver, comme recréer, pour l’exemple, un désir d’être, de nouveau par le monde, les conquérants fantômes de l’idéal.

Nous vous lisons, nous nous imprégnons, nous modifions nos lignes peu à peu, en conséquence, et nous franchissons, grâce à vous, des niveaux jusqu’alors impensés, qui aident vos utopies à en générer d’autres, pour mieux, chaque jour, nous inventer.

Alors.
Ensemble.
Infinissons de nous faire écrivants.

Le faisceau conflictuel des narrations qui nous gouvernent

Voilà bientôt un an que les décisions que nous avons prises ensemble ont libéré les voies qui empêchaient la pensée de circuler.

Comme nous l’avions annoncé, des élections se sont tenues afin de préparer une nouvelle année de conquête vers les territoires inexploités d’un vivre ensemble respectueux des identités, des pluralités et des articulations permettant à l’éthique de non-exclusion que nous avons formulée de s’inscrire dans la nécessité.

Nombreux sont ceux qui ont participé à l’élaboration de notre nouveau système. Les résultats des travaux réalisés au sein de nos instances de veille démocratique nous ont permis de dresser un premier constat :

Qu’il n’existe pas de dictature en soi ; qu’aucun être humain ne naît génétiquement programmé à devenir dictateur, monstre, ou criminel ; qu’un ensemble complexe d’histoires collectives, d’anciens trônant, d’angoisses ancestrales, d’espoirs fantômes, nourrit la volonté d’une incarnation de la puissance, garantissant à un corps social se sentant malade, réclamant un cadre soignant, des lois simples qui pervertissent sa maladie au point qu’elle se fasse oublier.

Le danger dans ce jeu de puissance est qu’il stigmatise le fort et le faible, celui qui peut et celui qui ne peut plus, formant inéluctablement un couple mortifère composé de celui qui veut et de celui qui ne veut plus, de celui qui a les droits et de celui qui n’en a plus.

Les dérives, nous les connaissons, ne conduisent qu’au conflit, au meurtre, au suicide.

Ce serait croire en l’irréversibilité — et donc, en l’éternité —, que d’imaginer que des consciences à toujours endormies dans la pleine satisfaction de ne plus pouvoir, de ne plus vouloir ou de n’avoir plus le droit que de respecter les lois qu’on lui impose, ne puissent se laisser gagner par le retour d’un désir individuel d’à nouveau profiter des vies qui se savent essentielles dans l’absolu.

Le dictateur, comme la dictature qui l’autorise, est sollicité. L’oppresseur et l’opprimé se lient par un contrat. Le criminel et la victime ne font plus qu’un.

Nous avons tenté d’inspecter le corps social tout entier afin de déceler les quelques paramètres que nous supposions pouvoir nous prévenir des éventuels dangers que provoquerait une autorité excessive, miroir funèbre d’une faiblesse inquiétante.

La supposition théorique s’est vue confirmée en pratique. Dans presque tous les partis, et donc, par extension, dans presque tous les corps constituants de notre société, nous avons relevé la présence de germes favorisant le développement d’une volonté incompatible avec le jardin pacifique que nous souhaitons cultiver idéalement.

Paradoxe de l’être fait chair, de la pensée faite corps, les conséquences de l’infiniment petit sur l’infiniment grand restent à prévenir et c’est dans cette perspective que s’inscrit déjà le fonctionnement que nous connaîtrons à partir de janvier 2017.

Être plus puissant qu’un autre n’aura, à quelque échelon que ce soit, plus aucune importance. Ce qui comptera, prioritairement, ce sont les moyens qui seront donnés à chacun d’intervenir dans le fonctionnement interne du milieu encore trouble dans lequel il cherche à établir sa demeure afin qu’il soit loisible d’écrire son propre script dans le faisceau conflictuel des narrations qui nous gouvernent.

[CP] – Nouvelle organisation

Le CP s’est réuni afin de dresser un premier bilan après six mois d’existence de notre nouveau système.

Il se félicite que les outils d’analyse dont notre société s’est dotée permettent, comme il l’avait été supposé, de mieux orienter les prises de décision collégiale.

Afin que le critère économique ne soit plus le seul à être pris en compte lors de nos prochaines évaluations, nous créons le critère démocratique et le critère artistique.

Deux questions simples ont été posées aux directions de chaque parti :

1. Votre système permet-il à l’ensemble des membres ou de leur(s) représentant(s) d’intervenir sur l’organisation structurelle de votre parti ?
2. Est-il offert aux membres de votre parti un espace de liberté personnel où le développement d’un choix autonome est légalement garanti ?

Après étude de l’ensemble des réponses, il apparaît que, dans certains partis :
1. la liberté des membres est saine et la structure peut être modifiée selon le choix du plus grand nombre ;
2. la liberté des membres est saine, mais la structure ne peut pas être modifiée selon le choix du plus grand nombre ;
3. la liberté des membres est trop fortement circonscrite et la structure ne peut pas être modifiée selon le choix du plus grand nombre.

Ainsi, nous observons trois tendances qui reclassent les partis jusqu’ici autodéterminés :
1. Autogestion du système.
2. Gestion conservatrice du système, avec forte concentration du pouvoir.
3. Dictatures (ou pouvoir absolu).

Et dégageons trois orientations fondamentales : la transmission, la formation et la création.

Création d’un secteur littéraire

Constatant que nos services publics tendent à privilégier des formes autoritaires d’exercice du pouvoir conduisant peu à peu à la fascisation de l’esprit et considérant que de nombreux espaces de liberté d’expression ont été supprimés, la Présidence, afin de maintenir l’énergie d’un courant démocratique entre nos citoyens, décide l’ouverture d’un secteur littéraire qui sera en charge de mettre à la disposition du public autant d’outils artistiques qu’il sera possible d’en produire pour que cette tendance soit freinée, neutralisée et, nous l’espérons, renversée.

Notre peuple exprime sourdement le besoin d’établir d’autres modes de fonctionnement du système, aussi, le critère économique ne sera désormais plus le seul critère pris en compte tout au long des débats qui s’ouvriront en septembre prochain lors du renouvellement de notre assemblée.

Souhaitons que les partis en présence entendront que leur action ne garantit pas, actuellement, que la Dictature ne reprenne pas la place d’où elle a été si récemment expulsée. Aussi, nous rappelons aux instances actives, adhérents et directions, qu’il est encore temps de se prémunir et nous les invitons à faire en sorte, à l’instar de ce que nous avons créé ensemble, que les instances dirigeantes et représentatives redeviennent collégiales.