La conviction est allée jusqu’au bout. C’est un nouveau début. On fait comme si on était parti de rien, ou comme si on n’avait plus rien.
C’est arrivé sans que cela s’annonce autrement que par la langueur installée tout autour. La déconnexion désirée est maintenant effective. Tout est bien là, au moment le plus juste.
Les objets continuent d’indiquer les pistes à suivre. Voici un appareil, par exemple, qui ne fonctionne plus, et tous les appareils en arrêt depuis de nombreuses années ressurgissent. Ils font foule, eux aussi. Ils ramènent à l’histoire. Ils offrent une autre dimension à la notion de rupture, tentée à plusieurs reprises, dès le plus jeune âge. Inutile de faire un effort de mémoire. Il suffit de les savoir là, parmi les éléments actifs. De puiser ce que cela génère d’émotions réelles. De ce qui était supposé disparu. Abandonné. De ce qui, de fait, ne l’a jamais vraiment été. C’est un regard qui se pose. Un regard chargé de l’expérience traversée. Une écoute nourrie de tant de paroles circulant dans le corps.
Alors, c’est l’invention, seule, qui trouve une solution. Un univers parallèle. Un lieu où tout ne fera qu’aller de mieux en mieux, puisque l’échec n’est plus possible, que cette notion a été assimilée au profit d’une autre. Tentative. Essai. Ça n’aurait pas réussi, selon ce qui avait été fixé comme objectif, mais ce qui a précédé, les efforts, les prises de décision, ont agi là où il était possible que cela agisse, tout simplement, recadrant parfois, remobilisant d’autres fois. Un sommet de montagne était attendu. C’est la mer qui se présente. Et l’adaptation est plus aisée dans ce nouvel élément. La force est alors de se dire qu’au sommet de la montagne ne se serait trouvée qu’une forme de souffrance, à trop vouloir lutter. Aussi, ne même pas se demander quand il aurait fallu bifurquer. Il fallait cette tentative. Il fallait cette direction. Il fallait s’imaginer qu’il serait possible d’inclure un grand nombre de connaissances dans une sphère rapprochée. Il fallait reconstituer les visages de celles et ceux à qui les messages s’adressaient. Il fallait, au fond, se produire dans l’inconçu.
Tant qu’il n’y aura personne pour intercepter ce processus-là, nous continuerons à nous laisser bercer par une mélodie propre, dont nous avons entendu les premières notes, peut-être, en nous voyant sillonner sur des routes sans mystère. Nous ne faisions que colmater les erreurs que d’autres avaient laissées s’enraciner. À la fondation de tout ce que vous avez produit, il a manqué une notion primordiale. Rien ne pourrait se faire, en soi, sans prendre en compte l’ensemble de données bien plus complexes que ce que vous avez envisagé.
Tout d’abord, il est inutile de vouloir tout faire entrer dans des cases. L’humain n’y sera jamais bien. Il a besoin de circuler, de choisir, de faire presque comme bon lui semble, surtout s’il doit en payer une partie. Tout cela n’aura pas tant de conséquences sur tout ce qui agit en permanence. Nous laisserons. Nous avons appris cela. Nous n’y retournerons plus. C’est fini. La mémoire s’inscrit d’une autre manière et de l’avoir saisi nous rend confiants pour l’avenir, car demain, nous savons que cela se reproduira. Ce sera d’abord le calme, le lent éveil de l’esprit. Ce qui doit se faire se manifestera et nous tenterons de le réaliser, dans la mesure de nos moyens, soutenus par une pulsation accompagnant notre effort et signifiant seule qu’un mouvement créatif est en cours. Nous n’allons plus nous évertuer à forcer la porte de l’interlocuteur qui ne répond pas. Nous sommes suffisamment nombreux, désormais, pour bâtir notre idéologie, sans infidèles, sans inféodés, sans inférieurs. Les écrans que nous déployons nous conviennent. Nous sommes en direct avec nous-mêmes.
Ce qui nous passionne dans cet état de fait, c’est qu’une seule partie de la sphère médiatique suppose que ce qui ne leur vient pas sur un plateau n’existe pas réellement. Ça n’aurait ni consistance, ni envergure. L’autre partie, forcément dans l’ombre, produisant du moins lu, moins acheté, moins connu, n’a pas ce mépris de ne pas considérer l’existence d’autres modes d’expression conditionnant d’autres modes de diffusion. C’est pourtant là, aussi, sur cette face cachée, ou plutôt masquée, que pourrait se lire en direct le travail en cours de réalisation de l’humanité agissante. Bien sûr, nous ne le contestons pas. Il y a des affaires à suivre, des courses poursuites à entreprendre. Il suffit de longer les ministères pour s’en rendre compte. Une circulation contrôlée. Portail ouvert sur le pouvoir. Les grandes cours avec les berlines noires garées en épie. N’essayez même pas de toquer à la porte d’entrée pour saluer votre ministre parce que vous passiez dans le quartier, vous finiriez jetés à la poubelle avec les ordures non recyclables. Eux se disent que c’est là que tout se passe, et nous l’admettons, il s’y noue des intrigues importantes, mais ils ne considèrent pas que deux rues plus loin s’organise une autre société qui, elle aussi, sait maintenir son pouvoir. Cette société-là n’a que faire des titres et des uniformes. Elle n’est que circulation incontrôlée. S’y jouent tous les brouillons de la vie et s’y travaillent tout ce qui sera répété sous toutes les formes avant d’être présenté au public.
C’est bien cela que nous ressentons, à la fatigue de nos mains, aux douleurs dans la poitrine d’avoir trop tiré sur la corde, aux machines à laver qui tournent jusqu’à minuit, aux vaisselles laissées en suspens, le labeur d’un travail qui tout entier se mêle sur une seule et même page où nous testons autant les ruptures que les liens, l’ampleur, l’efficacité, ne cherchant pas à nous adresser à des foules silencieuses mais à un réseau d’acteurs à qui l’on doit de partager la même vision d’un peuple échappant aux emprises qui subsistent.
Le mépris a fait naître un mouvement.
Plus rien ne l’arrêtera.