Ce que disent les arbres

— Mon frère m’énerve
— La sueur, c’est dégoûtant.
— Mon cerveau me piège tout le temps.
— L’eau, c’est bon pour les arbres.
On regarde par la fenêtre, le vent fait pencher toutes les branches.
— Je m’en moque un peu, de l’auteur.
— J’ai un sac d’à peu près dix kilos, mais les sacs à roulettes sont interdits, alors, j’ai mal au dos.
Il se place devant la fenêtre.
— Il y a des voitures garées, des arbres, encore des voitures.
— Et le parc ?
— Je n’y vais jamais. Moi, je vais dans l’autre.
Il se prépare : la veste de survêtement installée comme une cape. Il ajoute des lunettes (pas les siennes) et un bonnet (pas le sien). On apprend aussi à lire l’heure.
Mais la fois suivante, plus de montre.
— La malédiction a disparu.
— Il faut détruire les immeubles, faire une zone de lancement, faire une fusée, partir directement dans un autre pays.
— Je me souviens de ma naissance. De qui était là. De ce qu’ils ont dit.
— Les cauchemars, je m’en souviens toujours.
— C’est très philosophique dès qu’on parle du temps.
— Ceux qui ont inventé tout ça sont des sadiques.
— Je veux créer mon propre monde, ma propre religion.
Sur un pull : Super flemmarde.
— C’est plus facile que le théâtre, d’apprendre des phrases et de se laisser guider par le souffle.
— C’est féérique.
— Je suis fatiguée.
— C’était avec papa cette semaine.
Sur un T-shirt : Besoin de vacances.
— C’est dur.
— J’ai mal.
— Dans la cour, on bastonne. On a fait « quelque chose ». Les filles pleurent.
— Ils l’ont bien cherché. Ils disent qu’ils t’aiment alors que c’est des garçons.
— J’y arrive pas.
— J’ai mal au poignet.
— Je sais pas faire.
— À l’école, je suis le deuxième plus rapide de la classe.
— Et c’est qui le premier ?
— Je veux pas dire.
— Mon petit frère, il veut toujours faire à ma place.
— Mes deux préférés, c’est Léonard de Vinci dont j’ai refait le portrait de sa dame célèbre, et Jules César, parce qu’il décide.
— Je n’aime pas recevoir des ordres.
— Je suis brutal. Je fais le coup des mille bras et de la toupie tourneuse. Le gars reste endormi trente minutes.
— Si je ne perds pas de point, je joue à la playstation tout le weekend.
— Je suis catholique, mais je n’aime pas l’église.
Il met le bonnet rose de Garance à qui il apprend, à qui il demande toujours des nouvelles de l’école. Et la géométrie ?
— C’est quoi cette forme ?
— Un rond.
— Et celle-là ?
— Un rectangle.
— Et celle-là ?
— Un losange.
Il est content. Garance avance bien.
— J’ai eu 20/20 partout.
Sur un pull :
Rules are made to be broken
Good vibes only
Go away
Not yours.
— C’était avec maman cette semaine.
Sur un pull : I feel happy today.
— Les garnements se sauvent à l’heure de la cantine pour aller au Mc Do. Ils cassent les vitres avec des billes. Résultat : billes interdites.
Au loin, passent les trains et parmi eux le TGV porte-bonheur.
— Elle a quel âge ta sœur ?
— T’avais quoi comme jeux quand t’étais enfant ?
Il enlève ses chaussures. Jambes croisées.
— Je n’aime pas lire. Ça m’ennuie.
— T’as quel âge ?
— Pourquoi tu es parti ?
— Je préviens, c’est une calamité.
— Bravo le grabouilli.
— Les parents, c’est content pour rien.
— Tu dis que tu viens me voir et t’es bloquée sur ton téléphone.
Alors, elle pleure.
Sur un pull : Whatever.
Sur un autre : Today list – Nothing.
— Il faudrait un trampoline.
— Je ne suis pas stable.
— J’ai mal au poignet. Aux jambes.
Il se contortionne.
— Et qu’est-ce que tu…
— NON, C’EST L’ECOLE. ON A FAIT « QUELQUE CHOSE ».
— Je suis fatiguée. Samedi, couchée tard. Dimanche, la fête encore.
— Je ne suis pas la meilleure en lecture. Ma mère lit plus vite.
Alors, il n’y aurait rien d’autre à inventer.
Il n’y aurait qu’à recopier.
Ces formes de fictions éphémères.
Comme se préparent les violences, dans la cour.
Comme s’insuffle l’esprit de compétition, dans la classe, dans la famille.
Comme se vivent les séparations, dans la vie.
Alors, on aide, à définir la figure du sadique qui nous tiraille.
On rit d’aller un jour sur sa tombe.
De reprendre le pouvoir, comme une vengeance.
Et nous sillonnons les cimetières.
Jusqu’à trouver.
L’image que nous voulions voir, enterrée.
La plaque aux dates délimitées.
Pour enfin nous libérer.

La plaie de notre lien social est en voie d’être pansée

Raconter comment l’abondance fait irruption serait à nouveau rester dans un mode de focalisation que j’ai tenté toute ma vie de transformer un peu, non pas qu’il ne produisait plus rien, mais parce qu’il semblait que ces récits avaient déjà été à de nombreuses reprises relatés. Un effort a été réalisé pour imaginer de tout cela une sorte d’origine et un fil conducteur. Cela n’est pas fait pour perdre, mais pour justifier, et ce n’a de conséquences que sur une réalité propre. Il y a des sujets sur lesquels il n’y aura jamais aucun mensonge. C’est l’honnêteté de dire qui est en jeu. De cela découle l’honnêteté de faire. Au moment où se pose encore la question d’un plus bel environnement global, le choix se détermine au niveau de la conviction intime. C’est un tout opérant. Il n’y aura de trace de cela que la manière avec laquelle la globalité s’est pensée et comme, au fur et à mesure, elle s’est construite. Cela n’appartient à personne d’autre qu’à vous.

On se dit que ce n’est pas le moment, qu’autre chose est en cours, mais on cède tout de même. Et on regrette, car le miroir que cela nous renvoie ne fait que s’effondrer quelques convictions qui se formaient. Il y a d’autres alliances à penser. Elles sont en cours de mobilisation. Elles nécessitent du temps d’imprégnation. Sinon, on laisse faire des figures qui pourraient claquer la porte comme un courant d’air dès qu’une opportunité se présente. Je sais que je me suis infligée une situation très particulière. C’est à cause d’une énergie qui a trop longtemps été retenue. Cependant, il se passe exactement ce que je prévoyais. L’attention nécessaire pour se mettre, en quelque sorte, à disposition, n’est pas suffisamment à la mode pour conduire à ce qu’il y a de plus juste dans l’édification d’une perception différente de celle souvent calquée sur ses propres intérêts. On pourrait vite conclure que c’est le mal du siècle, mais ce serait ne pas prendre en compte tous les paramètres, comme les âges, par exemple, qui distinguent les différents protagonistes. Tout, de ce que je perçois dans ce domaine, sent la poussière et la toile d’araignée. Cela provoque des indignités dont celles et ceux qui les propagent n’ont évidemment pas conscience. Nous sommes toujours sur les questions de privilèges. Si nous avions passé notre vie à écouter la loi des principes, nous serions toujours à nous morfondre de ne rien avoir réussi à réaliser de nous-mêmes. Bien sûr que je reconnais cette désolante consternation. Bien sûr qu’elle me dicte une attitude que je me dois d’observer. Parce que la nécessité de lutter contre cette permanente tendance est encore d’une cruelle actualité. Voyez comme on continue encore d’envoyer sur les roses, de balader d’un revers de main la notion pourtant facile à comprendre d’altruisme, de ne faire que nourrir un sentiment d’exclusion qu’on impose même à ses proches. C’est la plaie de notre lien social. C’est ce remède que nous apportons.

Une étape importante est en cours d’achèvement

La conviction est allée jusqu’au bout. C’est un nouveau début. On fait comme si on était parti de rien, ou comme si on n’avait plus rien.

C’est arrivé sans que cela s’annonce autrement que par la langueur installée tout autour. La déconnexion désirée est maintenant effective. Tout est bien là, au moment le plus juste.

Les objets continuent d’indiquer les pistes à suivre. Voici un appareil, par exemple, qui ne fonctionne plus, et tous les appareils en arrêt depuis de nombreuses années ressurgissent. Ils font foule, eux aussi. Ils ramènent à l’histoire. Ils offrent une autre dimension à la notion de rupture, tentée à plusieurs reprises, dès le plus jeune âge. Inutile de faire un effort de mémoire. Il suffit de les savoir là, parmi les éléments actifs. De puiser ce que cela génère d’émotions réelles. De ce qui était supposé disparu. Abandonné. De ce qui, de fait, ne l’a jamais vraiment été. C’est un regard qui se pose. Un regard chargé de l’expérience traversée. Une écoute nourrie de tant de paroles circulant dans le corps.

Alors, c’est l’invention, seule, qui trouve une solution. Un univers parallèle. Un lieu où tout ne fera qu’aller de mieux en mieux, puisque l’échec n’est plus possible, que cette notion a été assimilée au profit d’une autre. Tentative. Essai. Ça n’aurait pas réussi, selon ce qui avait été fixé comme objectif, mais ce qui a précédé, les efforts, les prises de décision, ont agi là où il était possible que cela agisse, tout simplement, recadrant parfois, remobilisant d’autres fois. Un sommet de montagne était attendu. C’est la mer qui se présente. Et l’adaptation est plus aisée dans ce nouvel élément. La force est alors de se dire qu’au sommet de la montagne ne se serait trouvée qu’une forme de souffrance, à trop vouloir lutter. Aussi, ne même pas se demander quand il aurait fallu bifurquer. Il fallait cette tentative. Il fallait cette direction. Il fallait s’imaginer qu’il serait possible d’inclure un grand nombre de connaissances dans une sphère rapprochée. Il fallait reconstituer les visages de celles et ceux à qui les messages s’adressaient. Il fallait, au fond, se produire dans l’inconçu.

Tant qu’il n’y aura personne pour intercepter ce processus-là, nous continuerons à nous laisser bercer par une mélodie propre, dont nous avons entendu les premières notes, peut-être, en nous voyant sillonner sur des routes sans mystère. Nous ne faisions que colmater les erreurs que d’autres avaient laissées s’enraciner. À la fondation de tout ce que vous avez produit, il a manqué une notion primordiale. Rien ne pourrait se faire, en soi, sans prendre en compte l’ensemble de données bien plus complexes que ce que vous avez envisagé.

Tout d’abord, il est inutile de vouloir tout faire entrer dans des cases. L’humain n’y sera jamais bien. Il a besoin de circuler, de choisir, de faire presque comme bon lui semble, surtout s’il doit en payer une partie. Tout cela n’aura pas tant de conséquences sur tout ce qui agit en permanence. Nous laisserons. Nous avons appris cela. Nous n’y retournerons plus. C’est fini. La mémoire s’inscrit d’une autre manière et de l’avoir saisi nous rend confiants pour l’avenir, car demain, nous savons que cela se reproduira. Ce sera d’abord le calme, le lent éveil de l’esprit. Ce qui doit se faire se manifestera et nous tenterons de le réaliser, dans la mesure de nos moyens, soutenus par une pulsation accompagnant notre effort et signifiant seule qu’un mouvement créatif est en cours. Nous n’allons plus nous évertuer à forcer la porte de l’interlocuteur qui ne répond pas. Nous sommes suffisamment nombreux, désormais, pour bâtir notre idéologie, sans infidèles, sans inféodés, sans inférieurs. Les écrans que nous déployons nous conviennent. Nous sommes en direct avec nous-mêmes.

Ce qui nous passionne dans cet état de fait, c’est qu’une seule partie de la sphère médiatique suppose que ce qui ne leur vient pas sur un plateau n’existe pas réellement. Ça n’aurait ni consistance, ni envergure. L’autre partie, forcément dans l’ombre, produisant du moins lu, moins acheté, moins connu, n’a pas ce mépris de ne pas considérer l’existence d’autres modes d’expression conditionnant d’autres modes de diffusion. C’est pourtant là, aussi, sur cette face cachée, ou plutôt masquée, que pourrait se lire en direct le travail en cours de réalisation de l’humanité agissante. Bien sûr, nous ne le contestons pas. Il y a des affaires à suivre, des courses poursuites à entreprendre. Il suffit de longer les ministères pour s’en rendre compte. Une circulation contrôlée. Portail ouvert sur le pouvoir. Les grandes cours avec les berlines noires garées en épie. N’essayez même pas de toquer à la porte d’entrée pour saluer votre ministre parce que vous passiez dans le quartier, vous finiriez jetés à la poubelle avec les ordures non recyclables. Eux se disent que c’est là que tout se passe, et nous l’admettons, il s’y noue des intrigues importantes, mais ils ne considèrent pas que deux rues plus loin s’organise une autre société qui, elle aussi, sait maintenir son pouvoir. Cette société-là n’a que faire des titres et des uniformes. Elle n’est que circulation incontrôlée. S’y jouent tous les brouillons de la vie et s’y travaillent tout ce qui sera répété sous toutes les formes avant d’être présenté au public.

C’est bien cela que nous ressentons, à la fatigue de nos mains, aux douleurs dans la poitrine d’avoir trop tiré sur la corde, aux machines à laver qui tournent jusqu’à minuit, aux vaisselles laissées en suspens, le labeur d’un travail qui tout entier se mêle sur une seule et même page où nous testons autant les ruptures que les liens, l’ampleur, l’efficacité, ne cherchant pas à nous adresser à des foules silencieuses mais à un réseau d’acteurs à qui l’on doit de partager la même vision d’un peuple échappant aux emprises qui subsistent.

Le mépris a fait naître un mouvement.
Plus rien ne l’arrêtera.

Pamphlet idéologique servant d’anarcho-thérapie à d’impuissants citoyens passant leur détresse dans l’alcool et les substances interdites

Un riche se justifiant d’avoir triché a avoué qu’il lui fallait 6000 EUR par mois pour fonctionner avec trois enfants.

A-t-on réellement mesurer l’impact que pouvait avoir sur les consciences une telle indécence ?

Heureusement, dans sa rue, s’est organisée une petite rébellion, et on a vu défiler des pancartes et brûler des voitures. Le riche n’a plus de pouvoir, mais il n’en est pas moins riche.

Bien sûr, on nous dirait : Qu’avez-vous contre les riches ? Grâce à eux tout fonctionne, tout progresse, tout s’embellit !

Oui, oui, nous avons bien compris, mais ce ne sont pas les riches qui nous perturbent. Ce sont les pauvres. Il y en a trop. Et il y a trop de ces catégories sociales qui, peu à peu, se fragilisent, car, on le dit vite, mais on aime le répéter : une partie non négligeable se précarise. D’années en années, elle a moins de moyens. D’années en années, moins de stabilité dans le travail. D’années en années, elle se dit, ah ben oui, mais j’peux pas, et s’enferme chez elle à se goinfrer de mayonnaise en regardant des pubs de dentifrice.

Nous ne verserons pas dans la facilité en disant comme on l’entend dans les maisons de retraite que c’était mieux avant et que tout se dégrade.

En 1990, 1926 milliards d’êtres humains vivaient avec moins de un euro par jour. En 2015, ils sont 836 millions. L’extrême pauvreté est passée sous le seuil de 10% de la population globale. Ce que ça veut en partie dire, c’est qu’il y a encore du chemin à faire, mais qu’il ne faut pas le faire en disant que c’est de pire en pire. Parce que l’humanité s’améliore même si, c’est difficile, bien sûr, d’en voir se battre sur nos écrans, d’en voir tendre la main dans nos rues.

Nous notons simplement que pendant que les plus riches ne cessent de s’enrichir, une part non négligeable de notre chaînon social a tendance à se fragiliser et à ne pas s’en rendre compte. À ceux-là, nous dirions : méfiez-vous. Vous êtes la catégorie sociale qui, justement, laisserait des trésors s’évaporer parce que vous vous laissez malmener. Globalement, c’est à nous de réagir pour que les progrès soient plus rapides. C’est à nous d’agir pour stabiliser le socle social, parce qu’au fond, nous rédigerions une histoire de notre Société dans les années 1930, nous utiliserions les mêmes mots, à part que depuis, le pouvoir s’est un peu mieux déguisé, et qu’il n’avance qu’à coups de petites marionnettes bien placées pour manipuler les foules. Mais ne nous y trompons pas. Aucune véritable nouvelle de ce qu’il y a d’humain dans tout cela ne nous parvient vraiment, à force d’avoir été le sujet des expressions du pouvoir. Et plutôt que de ressasser le passé en expliquant par quelques métaphores ce qui est arrivé hier, autant écrire plutôt ce qui se passera, comment nous allons organiser un nouveau putsch à l’intérieur du système qui, même s’il s’est largement amélioré lorsque, tous ensemble, nous avons pris la décision de déstabiliser tous les petits chefetons qui n’avaient qu’un plaisir dans la vie : gueuler comme des putois, il nous semble que les libertés acquises ne suffisent pas pour, justement, suffisamment détourner nos vies du réel et que nous devons encore améliorer deux trois petits articles dans l’immense règlement de nos vies intérieures.

Alors oui, admettons-le. Nous avons encore à nous former, et nous y participerons. Jogging à 6 am, tour du parc et du lac (si la forme le permet), douche, petit déjeuner énergétique, premier cours à 9 am précises, lesson one : comment ne plus jamais rien dire de stupide à l’aide de trois philosophes, une romancière et deux poètes. Exercices de langage. Traduction des anciens en six langues. Débat houleux à propos d’une religion de l’art. Nous n’aurons rien à finir vraiment. Juste à nous saisir de thèmes à développer, de pensées à continuer.

Il est vrai que tout cela peut paraître un peu disciplinaire, mais nous devons constater qu’à part utiliser les mêmes tics de langage pour dire au monde qu’on surferait sur l’immense malaise politique et social, sur la vague d’inquiétude qui agite la population, sur le revenu de base, sur les fonds de méconnaissance des citoyens et des faits historiques, tout en pratiquant l’art de l’occultation, du déni, voire de la falsification, il n’y a rien de réellement subtil qui en ressort. Franchement, tout cela nous tombe des mains.

Il n’y a qu’à voir le nouveau format du WEB, avec cette manière à présent toujours vu à la télé du micro-format, de vidéos entrecoupées, heurtées, de textes mal lus et mal commentés, ce qui fait la une des journaux où on invente chaque saison une forme de chronique avec un présentateur faussement intéressé qui a, posée devant lui quelques minutes avant de prendre l’antenne, une liste de sujets qu’il interroge pour remplir une plage horaire, ne s’intéressant plus qu’au buzz qu’il provoquera, et jamais au contenu. Ce format doit être détourné pour devenir une véritable bombe posée à l’intérieur-même des consciences collectives, car la comédie à laquelle nous avons assisté dans un des châteaux sauvegardés par l’histoire des fausses révolutions, accueillant un Seigneur et sa suite, était brillante et romantique, mais cela ne nous satisfait pas pleinement. Il nous manquait un élément essentiel : l’occasion de s’asseoir sur un banc de pierre au milieu des roses pour lire un poème en dansant dans la brume.

Oui, l’esprit a besoin de s’égarer. Il a besoin d’imaginer. Il aime inventer et créer. Juste admirer la beauté qu’il produit. Inutile de tout nous flécher, de nous dire quand il faut traverser, à quel portique il faut passer, où il faut faire ses besoins. Nous sommes au courant du danger, nous savons nous diriger, et côté besoins, comment dire, ça ne vous regarde pas.

Craignez le mouvement qui se prépare, car cela vous aura échappé, mais beaucoup d’entre nous sont désormais suffisamment émancipés pour être plus exigeants quant à la qualité de vie à laquelle ils aspirent. Nous savons que c’est difficile d’aller jusqu’au bout d’un texte. Nous savons que nous y plaçons quelques ronces pour éviter qu’un curieux mal intentionné n’y vienne mettre son grain de sel. Nous savons, aussi, qu’il s’agit essentiellement de mettre le principal objet à la fin, quand la plupart de celles et ceux qui auront effleuré seront déjà sur les pages « les plus incroyables accidents d’avions », croyant qu’il n’y aurait là qu’un pamphlet idéologique servant d’anarcho-thérapie à d’impuissants citoyens passant leur détresse dans l’alcool et les substances interdites.

Ce qui nous semble essentiel est de maintenant révéler nos pratiques tout à fait légales concernant une mise en fonction de la liberté d’expression avec, au centre, l’accusation bien fondée de dérives autoritaires auxquelles chacun d’entre nous s’est déjà confronté.

Où se sont dites, irréelles, les vérités

Elle parle à ses arbres.
Elle leur dit vous avez tout un peuple à protéger.
Ce serait comme un thème.
Le thème de la vieille dame.
Ou celui des arbres.
De planter. Protéger. La nature.
Ou disperser. La nature.
Ou, pourquoi pas. Conquérir. Ce que nous sommes. Notre être. De chair. De poésie. De mystères. Dans la durée. Constamment. En n’allant plus que cueillir. Ou s’inspirer de ce que nous avons planté, protégé. Comme une alternance entre désirs et doutes. Laisser prospérer. Ajouter. Remplacer. Soutenir, aider, abandonner.
Dans une terre gelée.
Essayer.
De toute façon, il faudra que quelqu’un prenne une décision.
Quelqu’un devra faire un choix.
Alors elle va couper, puis retirer, peut-être même greffer, tout de même, mais avant, elle regarde. Elle regarde longuement, et surtout, elle attend, pour ne pas céder à l’impatience, de voir tout mieux qu’avant, tout de suite, en un clin d’œil. Elle place l’impatience dans l’imaginaire. L’irréel. Où elle serait magicienne. Où, à coup d’enchantements, elle ferait tout fleurir, là, tout de suite, au cœur de l’hiver. Ce que ce serait de voir toutes ces fleurs, d’un seul coup, ce printemps avant l’heure. Toute excitée. Comme une enfant timide qui jusque-là n’avait fait aucun bruit et qui, pour une première fois, a osé tirer sur une sonnette d’alarme.
Elle rit.
Les oiseaux de l’imaginaire sont aussi de la partie. Elle rit de se savoir au centre de tout ça, essaie de chasser les images de la tentation. La tentation de l’impatience. Mais n’y arrive pas. Les oiseaux sont là. Les écureuils courent. Le soleil grimpe d’un coup et tout le monde se met à danser de voir le printemps arriver au cœur de l’hiver. Elle rit de n’avoir plus de mesure, de mettre tout en même temps, de voir tout déborder. L’hiver et le printemps en même temps. Quelle folie. Réussir à penser ce qui serait impossible. Ce qui serait rendu impossible juste parce que l’un et l’autre s’empêcheraient de tout simplement être. De fleurir. De ne jamais avoir su attendre.

Longuement.

L’imaginaire comme un temps d’attente. Pour tout rendre possible. Tout explorer. Parce que la décision, elle sait qu’elle va devoir la prendre. Elle est seule. À décider. Que celui-ci a besoin d’un peu plus de lumière. Que lui est trop petit. Que lui souffre, en silence.

Alors elle va greffer. Couper. Retirer. Peut-être même jeter. Comme elle aurait tenté. L’impossible. Plusieurs solutions, d’abord, en pensées. Semblant regarder celles et ceux qui passent sous ses yeux. Dans une cour d’hiver. Se dépêchant de rentrer. À cause de l’hiver. À cause du froid qui saisit. De l’impatience, encore, de se sentir au chaud. Dans le paradoxe de la nature. Avoir chaud en plein hiver. Comme cherchant une issue pour être là, au printemps, bien vivants. Voir le soleil envahir les corps. Où se sont dites, irréelles, les vérités. Inexpliquées. De l’inchangé.

Comme là, toujours là.
Jamais parti, jamais absent.

Les robots brasseront

Nous serions tous d’accord pour examiner vos premiers rapports, mais il faudrait que vous repassiez par la case départ, parce qu’il y a ici quelques erreurs à éviter, que vous n’auriez pas commises si vous aviez consulté le « manuel du parfait écrivain », distribué dans le hall de l’entrée, en face des revues hebdomadaires.

Tout d’abord, il faudrait trop écrire pour ne plus avoir qu’à choisir dans une masse de brouillons mal rangés, au hasard du moyen avec lequel l’écriture choisit de se rappeler à l’ordre, par un titre, par exemple, ou par le moyen irrationnel grâce auquel une partie a été oubliée dans un dossier où elle n’aurait jamais dû être classée, comme par une vulgaire négligence administrative, sans évoquer les carnets accumulés ressemblant à des listes de courses, les sauvegardes multiples, désormais là-bas, ailleurs, les versions 1, les versions 2, les versions 3, les versions lambda.

Dès lors, il n’y aurait plus de panne d’inspiration, et personne ne vous attendrait au tournant. Il n’y aurait plus non plus cette angoisse permanente qui persiste à croire qu’une idée viendrait à s’échapper parce qu’elle n’est pas exploitée tous les jours jusqu’au bout. C’est une erreur, ça aussi, de jugement, et de débutant, que vous auriez évitée en lisant le manuel.

Il y aura bientôt trop, pour avoir le plaisir de ne plus avoir à développer, mais, au contraire, pour retirer, bêtement, tout ce qui ennuie, tout ce qui semble pénible, tout ce qui, au moment où un texte s’est écrit, vient là pour meubler le temps de celle ou celui qui l’écrit. C’est une sorte de distraction du sensible. Vous vouliez écrire dans le déductif, voilà donc ce que n’importe quel programme informatique aurait réussi à faire à votre place.

Et puis, nous ne sommes plus ni dans une même énergie, ni dans un même lieu. Chaque chose a sa place… Je serai toujours là pour vous rappeler l’au-delà-sujet du texte.

Des écritures en cours appellent d’autres écritures. Elles mûrissent grâce à des projets qui s’installent malgré l’espace indisponible. Elles s’imposent, et rien en vous ne pourra les exclure, surtout quand vous avez décidé, ici-même, que rien ni personne ne serait exclu.

Ce n’est pas seulement la question d’assumer. C’est aussi la question de remarquer comment des outils se sont préparés, comment ils se sont emplis de contenu. Bientôt, comme jamais, vous assisterez au grand bombardement que les agents de notre société encore jeune d’avoir été nouvellement créée ont projeté d’inscrire dans la continuité d’une nouvelle année d’existence pour non seulement tuer dans l’œuf les dictatures en gestation, mais en tuer l’idée-même dans toutes les essences de la pensée.

Et pendant que les robots brasseront, c’est bien vous, pour finir, qui en profiterez, dans la réalité. Alors oui, écrivez des rapports, mais, par pitié, mettez-y une once de poésie afin que vos écrits restent dans l’éternité.

Les rescapés s’endorment

Soit un groupe de cinquante personnes, disposé dans un hall de gare.
Un train doit partir à 17h38, et l’assemblée doit décider, collectivement :
1. De la direction ;
2. Du type de locomotive, et de train, qui les véhiculeront ;
3. De la vitesse de croisière.

Le vote a été choisi comme mode de décision.
Les cinquante personnes s’engagent, quel que soit le résultat, à prendre le même train.

Il est 15h38.

On installe des isoloirs.
Des catalogues, présentant les différentes destinations, sont disponibles sur des présentoirs.
La parole est libre.

Un voyageur s’exprime.
Il cherche à convaincre les autres voyageurs. Il n’y a, pour lui, qu’une seule direction possible, qu’une seule locomotive capable de tirer cinquante personnes, qu’un type de train, qu’une vitesse de croisière pour y être dans un temps record. Il se dit expert en directions, locomotives, trains et vitesses. Pour que les décisions soient vite prises, il explique ce que contiennent les catalogues. La vérité dans certains. Le mensonge dans d’autres. Il arrive à convaincre d’autres voyageurs qui commencent, à leur tour, à tenter de convaincre d’autres voyageurs. Parmi eux, il y a d’autres experts qui, eux aussi, ont lu les catalogues, et qui confirment tout ce qui s’y trouve. Ou bien la plage, ou bien la montagne, ou bien les deux, ou bien d’abord l’un, puis l’autre, ou bien d’abord l’autre, puis l’un, ou un peu plus de l’un que l’autre, pour que l’un et l’autre soient possibles, sans que l’autre cache l’un, sans que l’un cache l’autre, la tranquillité, l’électricité à tous les étages, des services de proximité, le confort pour les enfants, une retraite paisible. Leur choix est fait. Ils se rangent sous une même bannière. D’autres voyageurs s’intéressent, doutent, consultent directement les catalogues. Ils ne sont pas d’accord. Ils commencent à formuler le contraire de ce qui a été dit. Ils évoquent le danger, les wagons qui se décrochent, la voie sans issue, la falaise au bout du chemin, la catastrophe. Des voyageurs les entendent. Ils sont convaincus qu’il faudrait se méfier. Leur choix est fait. Ils se rangent sous une autre bannière. La campagne bat son plein.

Il est 16h38.

Des discussions s’engagent dans le hall de la gare. Les arguments fusent au-dessus des têtes. Le ton monte. On stigmatise le choix de l’autre. On déchire les catalogues. On ne fait plus qu’évoquer plus ou moins ce qu’ils contenaient. De nombreux voyageurs se sentent dessaisis. Ils savent que, de toute façon, un train partira, qu’ils seront obligés de le prendre. Alors, ils se disent, « À peu de choses près », que les destinations sont les mêmes. Ils ont leur propre magazine, à lire. Ils font des siestes. Ils disent aussi : « Laissez-nous tranquilles ». Ils se réunissent dans un coin, par petits groupes, délèguent à cinq voyageurs la décision à prendre, râlent de temps en temps de les entendre s’agiter bruyamment.

17h08.

Le chef de gare annonce que les isoloirs sont ouverts.
En effet, seuls cinq voyageurs (10 %) se déplacent pour voter.
La magie des proportions fait que le choix de deux personnes (4%), l’emporte.
La première se nomme conducteur.
La seconde, chef de train.

La direction, le type de locomotive et de train, la vitesse de croisière, sont décidés.

Il est 17h38.

Dans le train, les cinquante personnes s’installent.
Le confort n’est pas le même pour tout le monde.
Une fenêtre, un couloir.
Une place près de la porte.
Une première classe, une seconde classe.
Des services différents.
Personne n’avait dit qu’ils coûteraient tant.
À part les catalogues.
Alinéa X328-B7-T33-12, paragraphe 2.
Des conditions générales.

Des voyageurs aperçoivent l’autre classe.
Ils demandent à y accéder.
On leur refuse.
C’est trop. Pas assez. Quelque chose de pas très clair.
Une question d’héritage.
Ils s’énervent.
Ils demandent à parler au chef de train, puis au conducteur.
On leur refuse.
Pour s’adresser au chef de train, il faut être habilité tel que stipulé à l’alinéa Z620-7B-E28-04.
Des conditions particulières.
Ils ne le sont pas.
Ils ne le savaient pas.

Le voyage est long.
Il fait trop froid pour certains. Trop chaud pour d’autres.
Ils n’ont prévu ni à manger ni à boire.
Des maladies se déclarent.
On demande un arrêt, une autre direction.
Au minimum, de ralentir.

– À l’autre gare, leur dit-on.

À l’autre gare.
Où les rescapés descendent du train, hagards.
S’affalent dans un coin.

– Que faites-vous ?, demande le journaliste, effaré.
– Nous attendons que le chef de gare annonce le départ du train suivant.
– Savez-vous où vous allez ?
– Toutes les directions se valent.
– Les conditions que vous aurez à bord ?
– On est toujours déçus.
– Iriez-vous voter si on vous le proposait ?
– Nous sommes trop fatigués.

Et en effet, les rescapés, épuisés, s’endorment.

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L’indomptable écriture de la vie

Les enfances s’agitent. Elles virevoltent.
Elles courent dans l’espace, l’explorent, en épuisent les possibilités. Protégées.

« Faites bien ce que vous désirez. Personne ne vous contredira ».

Feignant d’admirer un gourou, se prosternant même parfois.
En riant. Surtout, en riant, car tout se fait dans le rire.

C’est le pouvoir du rire.

On rit pour divertir celui qui ne rit plus, enfance dégénérée, défigurée, d’avoir figé l’expression dans un cadre, administré, par une sorte de haute sphère inaccessible à qui on abandonne tout.

La morale, peut-être.
Le mysticisme de la vie.
La hiérarchie.

Il n’y a qu’une hiérarchie qui nous intéresse. Celle de l’ascendance sur la descendance. L’une emplissant l’autre. Le mourant et le naissant. Les deux se diffusant, s’influençant.

L’ascendance et la descendance se représentent, l’une et l’autre, en trois exemplaires, fragmentés.

Une imitation.
Une application.
Une pure invention.

Je vous avais prévenus.
« Un jour ça m’arrivera », je serai morte.

Souvenez-vous de la vieille dame qui s’occupait d’élever des arbres, car bientôt, nous ne ferons plus usage de cet hyperlien, soi-disant là pour aider à comprendre, alors qu’il est un piège, pour la forme, pour la fuite, l’égarement. Le format prend acte qu’il y a des événements qui s’oublient malgré leur puissance traumatisante. Nous cherchons la furtive émotion, à nous saisir de l’incompréhension, pour nourrir l’immédiat, le présent narratif, en autarcie, dans l’écriture, personnages autonomes, enfin libres, maîtres d’un système propre, reconquis, la fiction, du réel et de l’imaginaire, réunis, comme l’ascendance et la descendance, dans un même corps virtuel.

La vieille dame va mourir. D’ancienneté. Et nous l’aurons oubliée.
Comme moi. Comme une autre. Comme tant d’autres.
Elle sera morte, et ne parlera plus que de l’au-delà.

Vous entendez « depuis » alors que je pense « sujet ».

L’au-delà.

Ce qui n’existe pas encore. Ce qui sera après. La lecture. L’écriture. De romans. Fragmentés. Dans lesquels j’ai choisi une forme pour dire ce que j’avais à dire, pour choisir ce que je voulais laisser. De moi. Pour l’étude.

Je parle donc de l’au-delà-sujet, comme bientôt la vieille dame le fera avec ses arbres que nous admirerons. Elle nous dira que nous sommes tous en train de planter des arbres. Dans l’éternité.

Sur vos murs, désormais, de l’au-delà, des codes, qu’il vous faudra déchiffrer quand les robots, dont les turbines les mettant en action fumeront d’avoir échoué, cèderont, vaincus, d’avoir tenté l’impossible administration des innombrables données de l’existence qui s’est autoproclamée l’indomptable écriture de la vie.

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C’était dans la lumière brillante d’un jour éclatant de soleil

Observons les milieux où il n’y a plus aucune circulation de parole entre les personnes ou entre des groupes de personnes.
La peur grandit, on ne peut plus rien exprimer, l’agressivité devient insupportable.

INACCEPTABLE.

Des régimes totalitaires sont en germe parce que nous avons fait une erreur de discernement. Nous avons cru que chacun était occupé à remplir la tâche qui lui était assignée, avec honnêteté, alors que certains, — nous l’apprenons souvent trop tard —, l’étaient à créer des clivages, des zones de conflit, des sujets d’incessantes discordes, imposant à la manière d’un juste une règle inextricable.

Nous n’avons rien à perdre à rendre ingouvernable ce que nous jugeons intolérable. Il n’y a là aucun risque. Il suffit de constituer une majorité de blocage et de refuser de participer à un système que nous souhaitons voir évoluer. Faisons-nous élire là où les lois s’écrivent et écrivons-les. Ou refusons que celles qui créent de l’inégalité ne soient votées avec la mention “lues et approuvées par le peuple tout entier”.

Comptons-nous.
Si nous sommes cinq, si nous sommes dix, si nous sommes des centaines.

Et si nous sommes seuls, — car il suffit d’un seul —, écrivons des romans, des poèmes, des chansons, des fausses listes de courses avec, raturés, les articles périmés, jetées au sol au hasard des rencontres, écrivons avec nos corps, dans la rue, sur les places, avec nos présences, nos regards, notre opinion constamment relatée au comptoir d’un café, malgré l’état de toutes les soi-disant urgences, malgré les soi-disant interdits d’un devoir de réserve, pour dire qu’il y a dans certains endroits d’une société dite de droit des pouvoirs qu’on laisse, collectivement, par respect, par habitude, par tradition, entre les mains de futurs criminels, écrivons dans l’attention publique qu’untel a fait ça, qu’untel a dit ça, qu’untel gagne des millions, qu’une loi n’est pas respectée, qu’un cadre est dévoyé, qu’une liberté est bafouée, qu’une nouvelle forme de révolution s’engage, lisons-nous comme un conte médiéval qu’on trouverait dans les archives d’une veille bibliothèque municipale, relatant jour après jour le combat d’insurgés sacrifiés.

C’était dans la lumière brillante d’un jour éclatant de soleil, les places étaient occupées, les manifestants étaient dépouillés de leur moyen d’expression, les opposants, surveillés, les révoltés, condamnés, les possédants, graciés ou diplomatiquement ignorés.

Dans le cœur de la vie

“La poésie des textes permet à chacun d’approcher d’un peu plus près la vérité des arguments dans le débat politique qui anime toute société”.

Voilà qui est bien dit.

Il y aurait un théâtre de l’intranquillité, apaisé dès lors que le propos entre en fiction. Il suffirait d’écrire, ou qu’un autre écrive, d’expliquer ce qui s’est passé, simplement, en décrivant les faits.

— Mais ce serait du journalisme, crie la foule désespérée devant l’inconsistance de l’intrigue.

Non, car le journaliste écrit dans un journal.
Le poète, dans un poème.

Une vieille dame s’occupe d’arbres qu’elle a placés sur le rebord de sa fenêtre. Elle regarde ainsi passer les gens, essentiellement des voisins. Elle remarque juste leur présence. Elle leur sourit quand ils la saluent. Parfois, elle perd ses clés et vient frapper chez la gardienne en dehors des heures renseignés sur l’écriteau de la loge, mais la vieille dame ne connaît pas ces règles. Elle, elle a perdu ses clés. Elle erre dans la cage d’escalier depuis plusieurs heures. Elle pense à ses arbres, se demande qui va s’en occuper si elle ne peut plus rentrer. Ils ont besoin qu’on leur parle, qu’on vérifie s’ils ont assez d’eau, s’ils ont assez de place.

— C’est consternant. Il n’y a pas d’intrigue.

Et pourtant, l’intrigue est bien là.
Des arbres, sur un rebord de fenêtre.

On pourrait dire que la vieille dame n’a plus toute sa tête. On pourrait l’enfermer, même. Elle est dangereuse. Elle pourrait ouvrir le gaz et faire sauter tout l’immeuble. Les voisins se demandent si elle a encore une famille.

— Contactons-la !

Voilà l’intrigue.

La vieille dame perd ses clés, mais elle s’occupe comme personne des arbres qu’elle a élevés. Quand ils n’ont plus assez de place, elle les emporte et les plante dans la forêt. Ils sont calmes. Ils sont doux. Ils prennent leur place et se développent. Ils transmettent ce qu’ils ont appris de la vieille dame. Les promeneurs se laissent gagner par leur quiétude. Les arbres continuent de vivre leur vie d’arbre. Ils déploient leurs racines. Ils aident les autres arbres. Ils ne savent peut-être rien de la vieille dame, mais ils sont là, agissant, dans le cœur de la vie.