Nourrir la graine du changement

Depuis quelques mois, le Manager faisait comprendre à la collégialité qu’il rencontrait quelques problèmes relationnels avec l’administrateur du parti. En août, ce n’était pas encore très grave. Il fallait juste être vigilant, laisser un peu de temps pour évaluer l’efficacité de cette collaboration, mais il allait falloir sans doute remettre en question cette manière de travailler. En décembre, tout semblait encore rouler parce que l’administrateur faisait à peu près le travail qu’on lui demandait de faire, quand soudain, du jour au lendemain, “C’est arrivé hier”, comme on dit, “je n’ai pas pu vous prévenir plus tôt”, le ton est soi-disant monté et la situation est devenue insupportable. Plus rien n’était alors possible. Les adhérents se retrouvèrent au pied du mur. Il fallait maintenant trouver un remplaçant.

Comme l’administrateur avait été proposé et choisi par le Manager, les adhérents, convaincus que leur éthique ne pouvait apporter que des solutions saines et pérennes, décidèrent d’être les seuls acteurs du processus de recrutement : réunions, rédaction collective du profil de poste, réception collective et épluchage collectif des candidatures, réunions, mise en place des entretiens, comptes-rendus, appels, réunions, discussions, tout ça, bénévolement. Le premier hic se fit alors sentir. Le Manager venait de croiser une personne incrÔÂyÂble, “c’est arrivé hier”, qui, justement, avait depuis quelque temps envie de s’investir pour le parti. Ce n’était pas une de ces personnes à qui on demandait un CV. L’heureux élu fut précipitamment invité à rencontrer les adhérents. On bouleversa pour cela tout le programme initialement prévu, ce qui agaça quelque peu les radicaux du mouvement qui se retranchèrent derrière l’idée que, par souci d’équité, cette personne, aussi incrÔÂyÂble soit-elle, devait passer toutes les étapes du recrutement, envoyer un CV et attendre qu’une décision collective soit prise.

Les entretiens ont bel et bien eu lieu. Comme prévu, les profils sont fort différents. Il y a ceux qui ont fait les études pour, ceux qui ont l’expérience de, ceux qui veulent, ceux qui peuvent, et donc trois finalistes ont été collectivement choisis : deux femmes et l’heureux élu. Le Manager a même fait mine d’avoir été très intéressé de rencontrer toutes ces personnes. Il est allé jusqu’à écrire lui-même des rapports circonstanciés pour que chacun puisse former sa propre opinion, et chacun, donc, s’est formé sa propre opinion en classant les trois derniers candidats en séries de 1-2-3, 3-2-1, 1-3-2, 2-3-1. L’heureux élu, plein de bonnes intentions, n’entrant pas aisément dans les cases du profil attendu, est loin d’avoir fait l’unanimité et d’être arrivé premier.

Qu’à cela ne tienne, on se réunira, à nouveau, pour débattre. Et le matin-même de la dernière discussion, le Manager fera part de son choix :
1. L’heureux élu
2. Une femme charmante mais bien trop jeune
3. La personne qui remportait déjà le plus grand nombre de suffrages
L’assemblée sera prévenue.

“C’est arrivé hier”. Habemus consensus.
L’heureux élu est élu.

Plantons à nouveau la graine du changement et nourrissons l’éveil d’un nouvel idéal de société, car il y a là une dérive possible vers un système plus néfaste encore que l’ancienne dictature.