Nous le pensions éliminé. Pour longtemps. Par l’élection, évincé. Mais voici qu’il revient, menaçant. À la table des puissants. Prêt à frapper.
Alors, dans nos corps blessés, ressurgit l’histoire. Encore.
Once upon a time. Les personnages, pétrifiés. Racontent.
Au fur et à mesure, nous nous rendions compte que les regards changeaient. C’étaient ceux de nos collègues, qui avaient évalué deux attitudes possibles : se battre en nombre ou se résigner, seul à seul avec la hiérarchie. Ils avaient choisi. Puisque nous n’allions rien pouvoir changer. Puisqu’il avait été élu. Désigné. Pour arbitrer. Tous les conflits. À coup de menaces verbales. Ils observaient le moindre de nos mouvements. Disaient de se méfier de ceux qui organisaient des réunions. Que nous étions en train de scier la branche sur laquelle nous étions assis. Parce que l’élu n’était pas content. Il allait tout fermer et mettre la démocratie au chômage.
Ils signaient. De leurs regards. Abaissés. Dire oui, que nous viendrons. À la réunion. Mais nous ne viendrons pas.
Quand nous rentrions le soir, épuisés, nous restions des heures à préparer les lendemains, à écrire des courriers, pour mobiliser, mais la vague était passée comme un rouleau compresseur. Fête de la ville. Des milliers de tracts distribués en quelques heures. Sur tout le territoire. Une série de mensonges, pour effrayer, puis inviter à une réunion publique. Tous unis derrière un même mot d’ordre, une logique de parti. Ça ne se discute pas, la logique de parti, car il n’y a qu’un seul objectif. Affaiblir l’opposition. La rendre minoritaire. La laminer. Puis l’obliger à se rendre à l’évidence.
Et ce qui se montra au public. Notre colère. Notre angoisse. Tout avait été inversé.
— Ils sont enragés.
— Ça n’a pas l’air si effrayant.
— Et puis, ils sont tous d’accord.
— Eux, ils savent. Nous, nous ne savons pas.
— C’est bien pour ça que nous avons voté.
La vague, cette fois. C’était en rentrant. Pensant réunir encore quelques soutiens. Face à l’injustice. Face à tout ce qui s’était préparé. Que nous voulions dénoncer.
La vague, donc, des tremblements. D’abord les mains, puis les bras, puis la respiration. Coupée. Au bord du précipice. Ne plus se sentir capable de prendre une décision. Parce que le choix était impossible à penser.
Parce qu’elle était bien là, l’issue du harcèlement.
Une paranoïa permanente.
À tel point que plus rien ne faisait sens.
Au point de se sentir arriver. À la fin. De sa propre histoire.