Pensiez-vous vraiment que je ne vous lirais jamais ? Que je ne saurais pas, un jour, que vous parlez dans mon dos ? Que depuis que je suis revenue, ou que j’ai été redéplacée, je n’entends pas vos « T’as r’vu la secrétaire ? », aimable comme une porte de prison, dont la Direction se méfie comme de la peste, qui s’est mis tout le monde à dos, déjà, « Ah la la, elle va pas faire long feu, celle-là ».
C’est vrai. J’ai une voix grave. Je ne souris pas tous les jours.
Et puis, au bout de quelques heures, enfermée dans un placard sans fenêtre éclairé par des néons, collée à un ordinateur, j’ai atrocement mal à la tête.
Ah oui, aussi, mais ça, vous ne le savez pas parce que je n’en parle à personne : il y a quelques années, j’ai été agressée.
Plusieurs fois.
Oh, peu importe les faits qui intéresseraient uniquement les journalistes de la Gazette des secrétaires.
Juste le mot agression devrait suffire à tout comprendre.
Et vous savez quoi ? Une agression, ça crée un traumatisme qui s’installe, immédiatement. Et comme la naissance, la conscience tente de tout oublier, immédiatement. Tellement c’est douloureux.
Parce que l’agression, elle a un temps fini, mais le traumatisme, lui, il est là. Presque tous les jours. Comme un rappel à l’ordre. Plus fort que tout. Dans le corps, comme un tic, comme un toc, à la moindre voix qui se lève, à la moindre inconstance. Tout revient, les tremblements, les pensées qui affluent dans la tête, désordonnées, des cris étouffées, là, partout, une sensation d’étouffement, et oui, un agacement, aussi, parce que ce sont des questions qui se posent constamment : Pourquoi moi ? Et avait-il vraiment besoin d’agresser quelqu’un ?
Comme je vous dis, j’avais d’abord oublié, puis le patron est entré comme une furie dans mon placard sans fenêtre. Je le sais, maintenant, il était venu déverser son incompétence sur un bouc émissaire, mais sur le moment, j’ai paniqué. Moi aussi, j’ai crié. C’était insupportable.
Les tremblements. La sensation d’étouffement.
Vous connaissez la suite.
J’ai pris un peu de recul pendant mon congé.
C’est vrai, j’ai surréagi, comme disent les anglo-saxons.
Et j’ai tout délié pour revenir au traumatisme originel.
À l’agression.
Des événements de la vie qu’on n’a pas envie de raconter.
D’autres en vivent très certainement de bien pires. Il n’est pas nécessaire d’évaluer les souffrances. C’est comme ça. Ça m’est arrivé, et pas à vous, ni à d’autres, parce que je suis la seule à l’avoir subi, ces jours-là. Trop de fois. Avant de dire basta. On en rirait. « Combien de fois ? ». Oui, vous en ririez. Je vous entends d’ici. Mouhahaha. Mais vous savez, les jours, ils ne comptaient plus. L’agression était toujours la même. La précédente était oubliée.
Parce que je n’y croyais pas.
Déjà.
Que ça puisse arriver.
Alors, que ça puisse recommencer.
Je ne l’avais même pas pensé.