Les yeux terrifiés par l’horreur engendrée

Un assassin vient à nouveau d’exprimer sa rage.
Et nous répétons inlassablement la scène sur les écrans dévastés de notre conscience.
Perdue.
On le voudrait agissant pour un monstrueux dogmatisme.
Pas le nôtre, un autre.
Gouverné depuis l’étranger.
Ne nous concernant pas.
Ailleurs, loin, invisible terreur.
Invisible menace.

On ne peut plus faire comme s’il ne s’était rien passé.
Depuis dix ans. Depuis vingt ans. Depuis trente ans.
Parce que les victimes jonchent notre mémoire esseulée.
Et que parmi elles, de nombreuses n’arrivent pas à obtenir leur statut.

De victime.

“Nous les avons abattus”
“Nous les avons stoppés”
“Nous les avons neutralisés”

D’un seul geste, la vérité nous envahit, là, sur notre territoire, nous dévoilant une vaste terre qu’on voudrait contrôler, administrer, avec notre dogme à nous, supposé meilleur parce qu’il ne tuerait plus, alors qu’il continue à former des ennemis, des opposants, et qu’il nourrit encore la nécessité barbare d’une guerre infinie.

Nous avons tort de vouloir ignorer la violence qui nous constitue en partie.

Les yeux terrifiés par l’horreur engendrée, née du flux irrémédiable d’une seule et même évolution qu’on pensait éternellement exemptée de devoir à nouveau dresser des listes de victimes.

Nous devrons compter nos morts, encore, avant de les inscrire, définitivement, sur les pages commémoratives des prochains livres d’histoire que nous tendrons, les mains tremblantes, à une nouvelle génération d’espoirs insensés qui — c’est la seule croyance possible — apprendra aux suivantes comment chaque jour tenter le grand pari d’une paix universellement, unanimement, jugée nécessaire à toute forme d’existence humaine.