Un étranger arrive avec d’autres convictions. Il souhaiterait rétablir l’ordre qui l’a construit. Il croit aux valeurs de partage, soutient la notion d’égalité, dénonce les pratiques douteuses d’un système d’administration perverti consistant à donner plus de pouvoir à ceux qui les détiennent déjà tous. De ce côté-là, rien n’a changé depuis la fin de la dictature.
Ou si peu.
Et puisqu’il est besoin, encore et encore, de s’en prémunir, alors, ouvrons quelques archives.
Once upon a time, un groupe d’êtres humains réunis autour d’un projet commun. Ces êtres savouraient une relative paix sociale. Leurs actions auprès des instances de concertation avaient porté leurs fruits et ils avaient réussi à installer un idéal démocratique : d’un côté, un moyen n’autorisant aucune concentration du pouvoir ; de l’autre, un moyen de faire circuler les idées de telle sorte que, quel que soit le degré d’implication, quel que soit le grade supposé hiérarchique, chacun se sentait participer à l’élaboration d’un trésor : un présent de narration collective.
Un jour, un seul homme s’est senti plus légitime que les autres pour concevoir le cadre d’un avenir commun. Le système était tellement bien conçu que l’homme en question constata d’abord le faible impact que sa volonté exacerbée de sur-puissance eut sur le périmètre global de son action potentielle. Alors, il s’irrita, tapa du poing sur la table et élabora une stratégie pour enfin ne plus avoir à demander un quelconque avis à quiconque avant d’exiger l’application de sa seule décision. Il n’aimait pas ce système. Après tout, avait-il été élu pour continuer à se soucier de l’opinion des autres ?
Il fallut remettre un peu au goût du jour les questions de hiérarchie. C’était là le point d’accroche. La faille. Dans laquelle il allait pouvoir s’engouffrer. “Je suis élu, mais je suis aussi patron. En dessous, je ne veux que des sous-fifres et des sous-fifres de sous-fifres”. Il fallait rendre responsables les petits chefaillons placés à tous les échelons au gré des accointances politiques qu’il percevait clairement aux clins d’œil échangés. “Votre service, je vous autorise à le mener à la baguette. Cessez de prendre des avis à droite à gauche. APPLIQUEZ. Mettez-vous dans la poche quelques faibles. Tutoyez-en deux ou trois. Et faites en sorte de neutraliser l’opposition en la stigmatisant, en l’humiliant, en l’isolant et, si possible, — vous serez naturellement récompensés —, en vous en séparant”.
Se séparer. De ce qui empêche. L’hyper pouvoir de prendre forme. C’est ça, exclure. C’est ne plus inviter à quelques réunions, ne plus mettre dans la boucle des mails, oublier (“oups, pardon, mille excuses”) de prévenir, de nommer, de considérer. C’est, du jour au lendemain, ne plus tenir compte d’un avis qui s’est trop longtemps senti libre de s’exprimer, inverser l’ordre des rencontres et prendre les décisions avant de consulter. C’est créer la caste de ceux qui participent et celle de ceux qui ne participent plus. Peu à peu, la nouvelle méthode envahit tout le système. Quelques-uns se sentent protégés en suivant l’ordre. Exclure ceux qui freinent, c’est, pour eux, construire le rempart de nouveaux privilèges grâce auxquels ils pourront prospérer. Au détriment d’un autre.
– Quel autre ? Puisqu’on l’a oublié.
Un nouveau groupe se forme. Des tensions se font à nouveau sentir mais, désormais, il n’y a plus qu’une option, et ce besoin d’exclusion devient alors impossible à rassasier, car l’appel du pouvoir est devenu pire qu’une drogue. Il est devenu une manière d’être et de faire. Au mieux pour soi. Au mieux pour un seul homme, élu pour perpétuer.
Notre société ne s’effondrera pas si nous prenons en compte les leçons du passé.
Si chacune de nos composantes est humainement considérée.
Et si nous rendons l’exclusion illégale.