Des milliers dans nos cœurs

C’est nouveau, il faut maintenant que je réponde à des messages reçus sur mon adresse électronique personnelle, que j’utilise mon téléphone personnel pour organiser ma vie professionnelle, que je vienne à des réunions en dehors de mon temps de travail, bref, que je donne un peu plus encore alors que je suis déjà au taquet toute l’année.

Les réformes en tout genre m’ont obligé à acheter un ordinateur. En trois mois, il n’y a plus rien qui marche parce que ce n’est plus à jour. Alors, je ne suis pas du genre syndiquée, mais avant de “renouveler mon matériel informatique”, j’ai calculé.

Oui, depuis quelques années déjà, je suis obligée de calculer, de calculer, de recalculer, et finalement d’admettre que je vais devoir faire des choix, parce que, voilà, je n’ai bientôt plus les moyens de vivre, et je remarque peu à peu que la case “dépenses” gonfle, alors que pour la case “recettes”, j’ai juste besoin d’un copié/collé (j’ai fait une formation).

Augmentation ? Refusée.
Changement d’échelon ? Refusé.
Progression de carrière ? Mouhahaha.
Motif des refus et des rires ? Économique.

L’économie ? C’est ce, justement, à quoi je participe en payant chaque année de plus en plus cher ?
Jamais l’économie se souvient qu’elle doit remplir un peu les caisses de ceux qui consomment ?
Ou bien il y aurait bientôt ceux qui consomment et ceux qui ne consomment pas ?
Ou qui consomment de moins en moins ?
Ou qui ne consomment plus ?

L’abonnement mensuel pour les transports dits publics a augmenté discrètement de quelques euros. La baguette, le café, quelques centimes. Les énergies diverses et variées, on ne sait pas trop parce que le contrat, le nom, les taux de je ne sais quoi, tout change tous les deux mois. La moindre fringue est maintenant à trois chiffres et ça dure deux lavages ou trois balades. Faut manger bio, sinon, on s’empoisonne. Plus de disques neufs. Plus de livres neufs. Je suis passée des retraits à 40 EUR aux retraits à 20 EUR. Plus de restos. Des pâtes sans goût. Plus qu’un repas par jour. Bientôt comme les mendiants que je croise à longueur de journées, tellement désespérés (un à chaque station, un à chaque coin de rue, des dizaines dans les gares, des milliers dans nos cœurs) qu’ils en deviennent agressifs. Si je ne leur donne rien, c’est moi qu’ils accusent en me rappelant que je dors tous les soirs dans un lit, et je rentre la faim et la culpabilité au ventre.

Épargne : 0,75% sur une année.
Et mon salaire qui n’a pas changé depuis plus de dix ans.

Alors, vous savez quoi ?
En dehors de mes heures de travail, il ne faudra plus compter sur moi.
Et au moindre rhume, je me ferai arrêter.